Psychologie

À l’hôpital, en cabinet, dans les enquêtes de santé mentale, la souffrance psychique fait désormais l’objet de tentatives de mesure. Échelles, questionnaires, indicateurs sont censés capter ce qui, en chacun, vacille ou se dégrade. Mais cette volonté de quantifier une expérience intérieure pose rapidement question. Peut-on objectiver ce qui, par définition, relève du vécu subjectif, du ressenti intime, de l’histoire singulière ? À vouloir évaluer la souffrance, on risque parfois de la réduire à ce qui se dit bien, se coche, se chiffre — au détriment de ce qui se tait, se masque, se déforme.

Ce que les outils ne saisissent pas

Il existe aujourd’hui des échelles de dépression, d’anxiété, de détresse psychique. Utiles dans certains contextes, ces outils ne captent pourtant qu’une infime partie de ce qui se joue dans la vie psychique réelle. La douleur psychique ne se laisse pas toujours dire. Elle s’insinue dans des silences, dans des comportements paradoxaux, dans des évitements. Elle se dérobe aux cases, aux barèmes, aux seuils cliniques. Celui qui souffre peut minimiser, mentir, ou au contraire survaloriser un mal-être qu’il ne comprend pas. La mesure, ici, devient un leurre rassurant pour celui qui la demande, mais souvent source de malaise pour celui qui la subit.

Exemple : une souffrance qui n’apparaît nulle part

Éric, 45 ans, passe un test d’évaluation lors d’une consultation en centre médico-psychologique. Les résultats indiquent une souffrance « modérée », sans signes alarmants. Mais en séance, il évoque un désespoir profond, une impression de vide intérieur qu’aucune case ne pouvait traduire. Il dit lui-même avoir répondu « comme il faut », par automatisme. Ce n’est qu’en parlant librement, en s’autorisant à ne pas rentrer dans un cadre, qu’il a pu formuler ce qui, en lui, échappait à toute quantification. La souffrance, pour lui, n’était pas visible : elle était tenue, contenue, familière depuis l’enfance.

Une souffrance non spectaculaire, mais réelle

Ce qui pose problème, ce n’est pas la mesure en soi, mais la croyance qu’un chiffre ou un score pourrait refléter la totalité du vécu. Beaucoup de souffrances psychiques sont discrètes, intériorisées, peu visibles. Elles ne crient pas, ne s’effondrent pas. Elles rongent doucement, silencieusement. Le risque, c’est de passer à côté de ce qui ne s’exprime pas de manière conventionnelle, ou pire, de ne reconnaître que les souffrances « bruyantes » au détriment des autres. La clinique, dans son sens le plus noble, commence là où la grille s’arrête : dans l’écoute fine de ce qui résiste à la mesure.

Vers une éthique de l’accueil plus que de l’évaluation

Mesurer peut aider, mais seulement si cela s’accompagne d’un véritable accueil du non-mesurable : le trouble flou, la plainte confuse, le silence long. La souffrance psychique est d’abord une expérience : elle demande à être entendue, non classée. Éric, en trouvant un espace de parole libre, a pu commencer à sentir sa douleur autrement : moins comme un état fixe que comme un processus en mouvement. La reconnaissance de la souffrance ne passe pas toujours par un score, mais par un lien. Et c’est ce lien qui soigne, bien plus qu’une évaluation.

Trouver un psy