S’entourer de personnes plus âgées : recherche de repères ou évitement ?

Certaines personnes, dès l’adolescence ou l’entrée dans l’âge adulte, nouent plus facilement des liens avec des individus sensiblement plus âgés. Ces relations semblent stables, protectrices, rassurantes. Mais cette préférence générationnelle n’est pas toujours anodine : elle peut révéler un déplacement affectif, un besoin d’encadrement ou une peur plus profonde du lien d’égal à égal. Car se tourner vers l’aîné, c’est parfois aussi contourner la complexité d’un miroir générationnel trop inconfortable.
Une verticalité rassurante face à l’insécurité intérieure
Être en lien avec une personne plus âgée, c’est souvent bénéficier d’une forme de contenance implicite : l’autre semble plus posé, plus expérimenté, plus structurant. Pour un sujet en quête de repères identitaires ou affectifs, ce type de lien vertical devient un refuge. Il rassure sur sa propre légitimité, offre une asymétrie confortable où l’on peut se sentir guidé, moins exposé. Ce type de rapport peut être réparateur lorsque le lien parental a été défaillant ou instable. Mais il peut aussi devenir une solution durable à une angoisse relationnelle plus profonde : celle d’être mis en comparaison, d’être jugé ou de devoir se confronter à l’altérité d’un pair.
Le lien d’égal à égal vécu comme une menace narcissique
Ce que la relation horizontale active – avec des personnes du même âge – c’est une forme de confrontation. Confrontation à la compétition, à la différence, au regard qui évalue ou renvoie une image incertaine de soi. Le pair oblige à se situer, à tolérer la comparaison, à vivre avec l’imperfection du reflet. Pour certains, cela provoque une gêne intense, liée à une insécurité narcissique ancienne. Se lier à plus âgé permet d’éviter cela : on n’est pas en rivalité, on est protégé par l’asymétrie. Mais ce mécanisme, s’il devient systématique, appauvrit le lien social et affectif. Il empêche d’habiter pleinement sa génération, de se mesurer au monde sur un pied d’égalité, et de faire l’expérience parfois rude mais formatrice de la réciprocité.
Exemple : Camille, 29 ans, en marge de ses pairs
Camille a toujours eu des ami·es plus âgées. Depuis le lycée, elle tisse des liens privilégiés avec des femmes de dix ou quinze ans de plus qu’elle. Elle dit qu’elle s’y sent bien, écoutée, pas jugée, mais reconnaît qu’elle se sent très souvent en décalage avec les personnes de son âge. En thérapie, elle évoque un sentiment d’avoir été « trop sérieuse trop tôt », dans une famille où elle a dû se responsabiliser jeune. Les liens horizontaux lui semblent bruyants, flous, menaçants. Elle se sent vite jugée, mise à l’écart, ou trop différente. En se tournant vers des figures plus âgées, elle recrée un lien vertical rassurant, mais reste dans une position de non-confrontation. Elle commence à percevoir que ce refuge pourrait aussi être un évitement, et que la difficulté n’est pas dans les autres, mais dans ce que ces liens du même âge réactivent en elle.
Vers une rencontre moins défensive
S’entourer de personnes plus âgées n’est pas en soi problématique. Mais lorsque cela devient une exclusivité, cela peut masquer une peur plus vaste : celle d’être vu sans filtre, d’être comparé, d’être insuffisant. Revenir vers ses pairs demande de réhabiter une place qu’on a parfois désertée. Cela suppose d’accepter la friction, l’imperfection du lien d’égal à égal, mais aussi la richesse qu’il offre. Se confronter à l’autre sans se sentir menacé : c’est ce mouvement que permet, peu à peu, une reconstruction du narcissisme blessé.