Étudiant et seul(e) : comprendre une solitude silencieuse

La solitude étudiante est souvent évoquée comme une donnée sociale, liée au départ du foyer, au changement de ville ou au manque de lien avec les pairs. Mais elle s’enracine plus profondément dans une expérience existentielle faite de rupture, de transition, parfois d’effondrement. Ce n’est pas seulement l’absence de lien qui fait mal, c’est ce qu’elle vient révéler : un vide plus ancien, une faille qui demande à être pensée, pas simplement comblée.
Une autonomie brutale
Pour beaucoup, l’entrée dans les études supérieures marque une forme d’indépendance attendue, presque idéalisée. Pourtant, cette liberté nouvelle s’accompagne souvent d’un sentiment d’abandon. Être seul dans une chambre de 9 m² ne signifie pas seulement vivre sans ses parents, mais affronter chaque soir une angoisse qui ne dit pas son nom. Sans les repères du quotidien familial, sans le bruit ambiant des habitudes, l’étudiant est confronté à une forme de désert. À la cantine universitaire, au détour des couloirs, les regards se croisent sans se fixer. Ce n’est pas l’hostilité qui isole, c’est l’indifférence, diffuse, banale, mais glaçante.
L’épreuve du lien social
Certaines personnalités, plus introspectives ou marquées par des expériences précoces de mise à l’écart, vivent cette solitude de façon aiguë. Ce fut le cas de Mélanie, 19 ans, arrivée à la fac de droit sans connaître personne. Elle n’a jamais su « forcer les choses », se sentait de trop dans les groupes déjà formés. Elle passait ses journées à feindre l’occupation, téléphone en main, pour ne pas paraître démunie. Le simple fait de demander un stylo devenait un combat intérieur. Ce qui la paralysait, ce n’était pas la peur du rejet, mais l’idée d’être vue comme celle qui n’a pas d’amis. La honte vient alors s’ajouter à la solitude, l’amplifiant comme un écho dans une pièce vide.
Ce que révèle cette solitude
Derrière ce vide social, c’est parfois une forme de désaffiliation plus ancienne qui se rejoue. Pour certain·es, l’isolement étudiant réactive des blessures d’enfance : un sentiment de décalage, de non-appartenance, ou une difficulté à se sentir digne d’intérêt. Le silence de la chambre étudiante devient alors celui d’une vie intérieure laissée sans miroir. Ce n’est pas qu’on ne veut pas aller vers les autres, c’est qu’on ne sait plus comment. Et parfois, on ne sait même plus pourquoi. L’absence de lien social agit alors comme un révélateur : elle met à nu une absence de lien avec soi, une perte de continuité entre l’enfant qu’on a été et l’adulte en devenir.
Exemple : Quentin, étudiant en médecine, seul dans la foule
Quentin a quitté un petit village de Corrèze pour étudier à Toulouse. Logé dans une résidence étudiante impersonnelle, il se retrouve plongé dans un rythme effréné : cours, révisions, examens. Il croise des centaines de visages par semaine, mais aucun ne s’arrête. « J’ai l’impression d’être transparent. Quand je vais à la BU ou que je fais mes courses, je suis là sans y être. » Il a tenté quelques soirées, mais n’a pas trouvé sa place dans les groupes déjà formés. Peu à peu, il s’est retiré, persuadé que le problème venait de lui. C’est un prof, lors d’un rendez-vous pédagogique, qui a osé lui demander comment il allait. Ce simple geste a ouvert une brèche, et permis à Quentin d’accepter qu’il souffrait d’un isolement réel, et qu’il n’en était pas responsable.
Apprendre à vivre le vide
Il ne s’agit pas de romantiser la solitude, ni de la nier. Elle est douloureuse, parfois dangereuse, et mérite d’être prise au sérieux. Mais elle peut aussi devenir un espace de réappropriation. Ce vide, s’il est habité peu à peu, peut devenir un lieu de rencontre avec soi-même, un temps pour se reconstruire à partir de ce qui compte vraiment. Aller vers l’autre ne doit pas être une injonction, mais un désir qui se reconstruit lentement, à travers des gestes simples, des présences fines, des expériences partagées. Dans la solitude étudiante, quelque chose se fissure. Mais dans cette fissure, une nouvelle manière d’être au monde peut parfois émerger.