Sortir entre amis pour ne pas ressentir sa solitude : une stratégie inconsciente ?

Certaines personnes ont une vie sociale très active. Elles sortent souvent, sont toujours partantes pour un dîner, une activité, un moment partagé. Mais derrière ce mouvement vers les autres se cache parfois une fuite : celle d’un face-à-face redouté avec soi-même. Car il est des solitudes plus menaçantes que le vide : celles qui réveillent des manques enfouis, des angoisses anciennes, des absences jamais élaborées.
L’activité sociale comme paravent intérieur
Être avec les autres peut devenir une manière de se détourner de ce qui remonte dans les moments de calme. Ce n’est pas l’envie d’amitié ou de partage qui domine, mais la nécessité de ne pas être seul. La solitude est vécue comme une faille, une alerte, un danger. Le silence de l’intérieur résonne trop fort, appelle des souvenirs ou des sensations insoutenables. Alors, on sort, on rit, on parle, on bouge. Ce n’est pas tant pour se relier que pour ne pas sentir. Cette stratégie peut durer longtemps, car elle est socialement valorisée. Mais elle finit par épuiser, car elle ne repose sur aucun ancrage. Elle masque un vide qu’elle ne comble jamais vraiment.
Une dépendance affective qui ne dit pas son nom
Sortir pour ne pas ressentir sa solitude, c’est aussi remettre aux autres la charge de réguler son état intérieur, sans le formuler. On attend que l’extérieur apaise ce que l’on n’arrive pas à contenir. Le groupe devient alors un substitut affectif, un amortisseur psychique, un anesthésiant relationnel. Mais comme cette attente est silencieuse, elle ne trouve pas de réponse claire. La frustration s’installe, le sentiment d’être « entouré mais seul » se répète. Il ne s’agit pas d’un besoin de lien au sens profond, mais d’une tentative de tenir debout sans tomber dans la béance. Ce n’est pas le lien qui nourrit, mais sa fonction protectrice. Et quand il échoue à remplir ce rôle, l’angoisse revient.
Exemple : Chloé, toujours entourée, jamais apaisée
Chloé, 31 ans, est perçue comme une personne chaleureuse, sociable, disponible. Elle organise souvent des sorties, propose des week-ends, anime les échanges. Mais elle confie qu’à chaque fois qu’elle rentre chez elle, une forme de mélancolie s’installe, comme un vide qu’elle n’arrive pas à nommer. En thérapie, elle réalise qu’elle ne supporte pas les dimanches seuls, qu’elle remplit son agenda pour ne jamais rester trop longtemps sans activité. Elle dit qu’enfant, le silence à la maison était chargé d’une tension invisible, d’un malaise non dit. Elle comprend qu’aujourd’hui encore, le calme la renvoie à cette angoisse sourde. Sortir est devenu une manière de ne pas retomber dans ce climat. Mais elle sent que quelque chose ne tient plus. Elle commence à envisager qu’être seule pourrait ne plus être un danger, mais une possibilité à apprivoiser.
Aller vers les autres sans fuir de soi
Sortir n’est pas en soi un problème. Mais quand la relation devient un rempart contre soi-même, elle finit par se vider de sa substance. Il ne s’agit pas de renoncer à la vie sociale, mais de retrouver un mouvement plus juste, plus libre, moins contraint. Pouvoir dire oui sans avoir à se fuir. Pouvoir dire non sans se sentir en danger. C’est dans cette réappropriation de la solitude que le lien retrouve son sens : non plus pour remplir un vide, mais pour accueillir une rencontre. Non plus pour échapper, mais pour se relier.