La télévision comme refuge : images douces pour monde dur ?

Dans un contexte d’incertitude sociale, économique et écologique, la télévision revient comme un îlot familier. Émissions rassurantes, séries confortables, visages connus : elle offre une forme de présence stable, à rebours de l’instabilité du réel. Cette fonction de refuge, longtemps moquée, devient une réponse implicite à une époque anxiogène. On n’attend plus de la télévision qu’elle informe, mais qu’elle apaise. Ce basculement ne concerne pas uniquement les plus âgés : il traverse les générations, à mesure que le monde extérieur devient plus imprévisible.
Une esthétique de la douceur
La multiplication d’émissions culinaires, de concours artistiques bienveillants, de séries au ton feutré traduit une recherche de calme plus que de stimulation. Ce n’est pas l’excitation du spectacle qui domine, mais la régularité d’un cadre connu, d’un rythme prévisible. Le succès d’émissions comme La meilleure boulangerie de France ou de séries comme Call the Midwife repose sur cette capacité à créer un cocon. Une spectatrice évoque sa routine du soir comme une « pause mentale » offerte par des images douces. Ce n’est pas une fuite du réel, mais une mise à distance, un geste d’auto-conservation psychique.
Des récits qui ne bousculent plus
Le fond aussi s’ajuste à cette demande implicite de réconfort. Les intrigues s’arrondissent, les conflits se résolvent plus vite, les dialogues sont plus enveloppants. On observe même une tendance à la « dédramatisation » des récits, où les tensions ne débouchent plus sur des ruptures, mais sur des compromis. Cette logique narrative rassure, mais elle émousse aussi la portée critique de certaines œuvres. Un scénariste explique que les plateformes demandent des contenus qui « ne heurtent pas trop », afin de convenir à un visionnage familial ou fragmenté. La télévision devient un fond sonore émotionnel, chargé de lisibilité et de familiarité, plutôt qu’un miroir complexe de la société.
Une nostalgie réactivée
Ce refuge télévisuel puise aussi dans un imaginaire du passé. Le retour de génériques vintage, de remakes, d’archives rééditées traduit un besoin de stabilité symbolique. Les chaînes rediffusent des fictions des années 90, rééditent des jeux anciens, ravivent des formats oubliés. Ce phénomène n’est pas seulement un recyclage économique : il répond à un désir d’enracinement dans un temps perçu comme moins hostile. Un téléspectateur régulier de France 3 confie « retrouver quelque chose de l’enfance » dans les programmes de l’après-midi. Le refuge n’est pas tant dans le contenu que dans le souvenir d’un monde supposément plus simple.
Apaiser sans anesthésier
La télévision peut jouer un rôle de stabilisation dans une époque troublée. Mais elle doit veiller à ne pas transformer la douceur en déni. Créer un refuge n’implique pas d’édulcorer le réel, mais de le rendre supportable sans l’effacer. Cela suppose des formats capables de mêler confort et lucidité, familiarité et questionnement. Dans une société où l’anxiété devient structurelle, le média télévisuel pourrait offrir plus qu’un apaisement : un espace de respiration critique, à condition de ne pas renoncer à la complexité au nom de la tendresse.