Toujours proposer, jamais invité : quand l’activité devient un test affectif

Il y a des personnes qui, systématiquement, sont à l’origine des liens. Elles envoient les messages, organisent les rencontres, créent les occasions. Et un jour, une lassitude s’installe : l’impression de ne jamais être choisi, de ne jamais être attendu. Ce sentiment d’asymétrie relationnelle active souvent une blessure plus profonde qu’il n’y paraît. Car derrière l’organisation des activités peut se cacher une mise à l’épreuve silencieuse du lien, où l’autre est chargé de venir confirmer une valeur incertaine de soi.
L’initiative comme tentative de reconnaissance
Proposer une activité peut être un plaisir, un élan sincère. Mais chez certains, ce geste récurrent devient un moyen de réparer un doute, de s’assurer que le lien existe bien. L’autre est sollicité, non seulement pour partager un moment, mais aussi pour répondre à une attente implicite : celle d’être confirmé dans sa place, dans son importance. Or, quand cette initiative ne reçoit pas d’équivalent, un malaise s’installe. Ce n’est plus un simple déséquilibre pratique, c’est une blessure narcissique qui se réveille. L’impression de devoir toujours faire le premier pas réactive parfois une ancienne scène intérieure, où l’on devait mériter l’attention ou forcer l’amour.
L’absence d’invitation comme blessure muette
Ne pas être invité, ne pas être relancé, ne pas être choisi spontanément : autant de petites absences qui s’accumulent et finissent par peser lourd. Ce manque n’est pas anodin, car il vient dire, silencieusement, que l’on n’est pas pensé, pas désiré, pas attendu. Cela peut réactiver des expériences précoces de mise à l’écart, de favoritisme, ou de solitude dans la fratrie. L’ami·e d’aujourd’hui devient sans le savoir la figure parentale d’hier, qui ne voyait pas, ne proposait pas, ne devançait pas les besoins. L’invitation attendue devient alors un test : vais-je exister dans l’esprit de l’autre, sans avoir à le provoquer ? Et si la réponse est non, c’est toute la construction narcissique qui vacille. L’activité n’est plus anodine, elle devient le lieu d’une épreuve affective.
Exemple : Sophie, une attente qui épuise
Sophie, 36 ans, a l’impression de toujours être celle qui propose. Elle adore ses amies, mais se dit de plus en plus fatiguée d’organiser. Elle commence à se demander si elle compte vraiment pour les autres, ou si elle est juste là « quand elle est utile ». En séance, elle évoque une enfance où elle devait aller chercher sa mère pour être prise dans les bras, où l’attention n’était jamais spontanée. Elle réalise qu’en tant qu’adulte, elle rejoue ce même scénario : elle fait le lien, crée le mouvement, dans l’espoir que l’autre confirme un attachement qui n’a jamais été pleinement donné. Quand personne ne prend l’initiative, elle se sent à nouveau invisible. Ce n’est pas l’activité qu’elle attend, mais une preuve d’importance.
Vers une réciprocité moins conditionnelle
Ce déséquilibre n’est pas toujours le signe d’un désamour. Parfois, l’autre n’a pas la même manière d’être en lien, ou n’identifie pas l’enjeu que porte chaque proposition. Mais quand ce sentiment d’unilatéralité devient trop douloureux, il vaut la peine d’en comprendre les racines : qu’est-ce que je cherche, vraiment, à chaque fois que je propose ? Est-ce l’activité qui me manque, ou la sensation d’être attendu, deviné, rejoint sans effort ? En repérant ce que l’on rejoue, on peut peu à peu sortir de la demande implicite, et poser une parole plus claire, plus juste. Pour que les liens ne soient plus des épreuves, mais des espaces vivants de circulation affective.