Tout va bien, mais je me sens mal : le décalage entre apparence et ressenti

Certaines souffrances se cachent derrière des visages sereins, des vies bien rangées, des phrases rassurantes. On dit « ça va » parce qu’objectivement tout semble en ordre : pas de problème majeur, une stabilité matérielle, des liens présents. Mais à l’intérieur, une tension gronde, un malaise diffus que rien ne vient justifier. Ce décalage entre ce qui est visible et ce qui est ressenti n’est pas un caprice : c’est souvent le signe qu’une part de soi vit quelque chose de plus profond que la conscience n’ose ou ne peut encore nommer.
L’apparente normalité comme écran de protection
Le quotidien peut devenir un refuge, une surface lisse sur laquelle rien ne semble accrocher. On remplit les journées, on parle de choses légères, on rit même, sans que cela atteigne vraiment le dedans. Loin de la transparence émotionnelle, ce fonctionnement protège : il évite l’effondrement, il préserve une image rassurante pour soi et pour les autres. Mais il installe aussi un clivage, une division intérieure où l’on s’habitue à vivre à côté de soi. Ce malaise ne vient pas contredire la réalité visible : il la complète, comme une zone d’ombre sous une lumière trop vive.
Une souffrance qui ne trouve pas son chemin
La difficulté, dans ces cas-là, c’est que le mal-être ne s’appuie sur aucun événement précis. Il n’a pas de cause claire, pas de discours limpide. Il flotte, il gêne, il revient dans les temps morts. Ce type de douleur, souvent liée à des émotions anciennes refoulées ou à des conflits psychiques non symbolisés, ne se manifeste que par des signaux faibles : irritabilité, fatigue, distance, ou un simple sentiment de vide. L’âme souffre sans avoir accès aux mots, et le corps ou l’humeur en deviennent les messagers silencieux.
Le piège de la comparaison et du déni
Dans un monde qui valorise la résilience, la réussite et l’enthousiasme, avouer un mal-être sans cause est souvent mal perçu. On se dit que ce n’est pas « légitime », qu’il y a pire, qu’on devrait se contenter. On nie alors ce qu’on ressent, on se convainc qu’il n’y a rien. Mais plus on ignore cette dissonance, plus elle se renforce. Car l’écart entre le vécu intime et le récit public finit par créer une fatigue psychique : celle de devoir tenir une posture qui ne reflète plus l’état intérieur réel.
Un exemple : Clémence, 36 ans, bonne élève du bonheur
Clémence a tout pour aller bien : un compagnon aimant, une situation stable, des amies présentes. Et pourtant, depuis quelques mois, elle ressent une forme de détachement, comme si plus rien ne la touchait vraiment. Elle se sent coupable de ce sentiment, n’ose pas en parler. En thérapie, elle découvre qu’une ancienne blessure non élaborée – une fausse couche passée sous silence – resurgit sous cette forme diffuse. En donnant voix à cette perte niée, elle commence à renouer avec une forme de cohérence émotionnelle.
Réconcilier le ressenti et l’apparence
Dire qu’on ne va pas bien alors que tout va bien, c’est faire un pas vers soi. Ce n’est pas trahir une réalité extérieure, mais rétablir une vérité intérieure. Reconnaître ce décalage, c’est accepter qu’il y a des zones en nous qui ne suivent pas toujours le même rythme que le visible. Et c’est précisément là que peut naître un espace de travail psychique : dans l’accueil de cette ambivalence, dans l’écoute de ce qui ne s’exprime pas mais insiste. Le malaise devient alors une invitation à aller vers plus de justesse intérieure.