Mon patron est tyrannique : dois-je subir ou partir ?

Rapports tendus, ordres humiliants, climat de peur… Certains environnements professionnels deviennent invivables. Pourtant, face à un patron tyrannique, beaucoup hésitent à partir. Par loyauté, par peur de perdre leur stabilité, ou parce que l’abus est devenu une norme familière. Derrière cette ambivalence, il ne s’agit pas seulement d’un choix stratégique : c’est une question existentielle, celle de la limite que l’on est prêt à poser face à l’autorité.
L’autorité dévoyée : entre domination et emprise
Un patron tyrannique n’est pas simplement exigeant. Il exerce une autorité fondée sur la peur, l’humiliation ou l’instabilité permanente. Tout devient personnel, affectif, imprévisible. Le cadre se dérègle, les repères se brouillent. On marche sur des œufs, on anticipe, on se suradapte. Peu à peu, l’individu cesse de penser pour lui-même. Il entre dans une logique de soumission implicite, où la survie passe par l’effacement de soi. Ce fonctionnement n’est pas rare dans certains secteurs où la loyauté est sacralisée et le pouvoir peu questionné.
Pourquoi reste-t-on ?
Quitter un environnement toxique semble rationnel. Mais beaucoup restent. Par peur de ne pas retrouver d’emploi, par attachement aux collègues, ou par doute sur leur propre légitimité à dire stop. Mais plus profondément, rester peut rejouer une fidélité ancienne. Celle d’un enfant face à un parent instable, imprévisible, dont il espérait l’approbation. Le patron devient alors une figure transférentielle : il incarne une autorité à laquelle on tente inconsciemment de plaire, malgré les abus. C’est cette résonance intime qui rend le départ si difficile.
L’exemple d’Anne, 39 ans
Directrice de clientèle dans une entreprise de communication, Anne a supporté durant des années les colères soudaines et les humiliations publiques de son supérieur. Elle disait de lui : “Il est exigeant, mais il m’a beaucoup appris”, comme pour justifier l’injustifiable. C’est après une crise d’angoisse, survenue un lundi matin avant d’aller au travail, qu’elle a commencé à consulter. Peu à peu, elle a mis en lien cette situation avec une histoire familiale marquée par la peur du père. « Je croyais que c’était normal de se taire pour ne pas déclencher la colère », dit-elle aujourd’hui. Elle a fini par quitter son poste, non sans peur, mais avec le sentiment de sortir enfin d’un engrenage ancien.
Subir ou partir : une question de transformation
Il n’y a pas de réponse universelle. Pour certaines personnes, partir est vital. Pour d’autres, c’est le fait de rester mais de ne plus se soumettre qui marque le tournant. Ce qui compte, c’est la possibilité de redevenir sujet dans la relation : de penser, d’agir, de poser une limite. Cela peut prendre du temps. Il ne s’agit pas d’un acte impulsif, mais d’un processus de clarification : qu’est-ce que je rejoue ici ? Qu’est-ce que je m’interdis de dire ? Quelle part de moi cherche encore une reconnaissance impossible ? C’est cette lucidité-là qui permet de choisir.
Reprendre le pouvoir sur sa place
Un patron tyrannique fragilise, use, infantilise. Mais il vient aussi révéler un rapport intérieur à l’autorité. Sortir de cette emprise, c’est avant tout reprendre le pouvoir sur sa propre place. Cela peut passer par le départ, ou par une mise à distance psychique suffisante pour cesser de se sentir soumis. Dans tous les cas, ce n’est pas la figure de l’autre qui doit être changée, mais le rapport que l’on entretient avec elle. Un travail d’émancipation intérieur, souvent long, mais libérateur.