Pourquoi certains ne terminent jamais leur bilan de compétences ?

Commencé avec enthousiasme, le bilan de compétences peut s’interrompre sans raison apparente. Pas de conflit, pas de difficulté manifeste, juste un ralentissement, un report, puis un abandon silencieux. Ce retrait progressif n’est pas anodin : il dit quelque chose d’une peur plus profonde que celle de changer de voie. Il révèle un conflit intérieur entre le désir de mouvement et la crainte de s’exposer à un choix qui viendrait bouleverser une construction identitaire fragile. Ne pas terminer, c’est souvent ne pas avoir à trancher, à renoncer, à se dire vraiment.
Un désir légitime freiné par une peur archaïque
Le bilan ouvre un espace de projection, mais aussi de mise en cause. Ce que l’on croyait être un simple réajustement professionnel devient parfois un lieu de déstabilisation. Explorer d’autres métiers, évoquer un changement de statut ou un départ, c’est toucher à des représentations de soi solidement ancrées. Pour certaines personnes, cette mise en mouvement fait émerger un conflit latent : suis-je encore fidèle à ce que j’ai été ? À ce que mes proches attendent de moi ? Ce qui se présente comme une démarche libre devient le théâtre d’un affrontement inconscient entre loyauté et désir. Alors, plutôt que de trancher, on se retire.
L’exemple de Marion : suspendre le processus pour ne pas trahir
Marion, 42 ans, cadre dans une institution culturelle, commence son bilan dans une dynamique forte : elle se sent en décalage, veut retrouver du sens. Mais dès que le consultant lui propose d’imaginer une reconversion, elle annule un rendez-vous, puis un autre, jusqu’au silence. En séance de thérapie, elle évoque une peur confuse : celle d’être perçue comme instable, illégitime. Sa trajectoire avait jusque-là répondu à un idéal de stabilité transmis par sa mère. Quitter cette voie reviendrait à renier une forme de filiation symbolique. Le bilan, en l’ouvrant à d’autres possibles, l’a confrontée à une autre forme de perte : celle de son rôle dans une histoire familiale. Plutôt que de choisir, elle suspend. Et dans cette suspension, elle se protège.
Éviter de décider pour ne pas désorganiser l’ensemble
Terminer un bilan suppose de prendre une décision, même partielle. Or, décider engage une chaîne de répercussions, réelles ou fantasmées, que certains sujets ne peuvent contenir. Le choix est vécu comme une brèche possible dans un équilibre psychique précaire. Il ne s’agit pas d’un simple manque de volonté, mais d’un évitement de désorganisation. Abandonner le bilan permet de maintenir l’ambivalence, de ne pas s’exposer à un avant et un après. Cela laisse intact le fantasme du possible, tout en évitant le vertige de l’irréversibilité. L’inachèvement devient une défense contre une rupture identitaire trop brutale.
Respecter le retrait pour mieux entendre ce qu’il défend
Plutôt que d’interpréter cet abandon comme un échec, il convient de l’écouter comme un symptôme. Le sujet ne renonce pas à avancer, il temporise un mouvement qui le met en péril. Ce retrait peut devenir une ressource, s’il est reconnu comme porteur d’un message : le besoin d’un temps intérieur supplémentaire, le refus d’une injonction à changer trop vite, la nécessité de revisiter d’abord les places anciennes avant d’en créer de nouvelles. Le bilan, même interrompu, reste un moment révélateur. Il n’a pas besoin d’être terminé pour avoir produit un effet.