Au travail : Laisser tomber le masque de la performance

Dans la plupart des milieux professionnels, on n’attend pas seulement des résultats. On attend une forme de contenance, de posture, de maîtrise. Il ne suffit pas de faire, il faut donner l’impression de contrôler, de tenir, d’être aligné. Ce masque, parfois adopté inconsciemment, devient un uniforme émotionnel. Il empêche la fatigue de se dire, le doute d’émerger, la fragilité de se montrer. Et si ce masque semble sécuriser l’environnement, il a un coût : une tension silencieuse, une fatigue partagée, un empêchement à créer du lien véritable.
La performance comme protection collective
Être toujours “au clair”, toujours “professionnel”, toujours capable, finit par créer une norme affective implicite. Dans certains groupes, la moindre faille est interprétée comme un danger pour l’équilibre. Tout le monde semble aller bien, tenir bon, mais cette solidité affichée est souvent fragile. Elle repose sur une peur collective : celle que la subjectivité vienne déranger le bon fonctionnement. Chacun devient le gardien du climat, au prix de ses ressentis réels. Et plus personne ne sait s’il peut simplement exister autrement qu’en produisant.
Exemple : Claire, la force tranquille épuisée
Claire, 41 ans, est cheffe de projet dans une agence de design. Efficace, calme, rassurante, elle est perçue comme un pilier. On l’envie presque pour son recul. Pourtant, elle confie en séance : “Je suis épuisée. J’ai peur que si je dis que je ne vais pas bien, tout s’effondre.” Un jour, à bout, elle annule une réunion importante. À sa grande surprise, personne ne la juge. Au contraire, deux collègues viennent lui parler de leur propre fatigue. Elle découvre que son masque empêchait les autres de déposer le leur. Et qu’en tombant, il allège silencieusement le groupe.
Ce que la faillibilité rend possible
Quand une personne s’autorise à ne pas tout porter, à dire qu’elle est fatiguée, débordée ou simplement pas au mieux, elle ne fragilise pas l’équipe, elle l’humanise. Elle devient un point d’appui indirect pour ceux qui n’osaient pas flancher. La faille assumée crée un espace symbolique où l’on respire mieux. Le collectif cesse d’être une scène de performance. Il devient un lieu où l’on peut exister sans devoir constamment prouver. Et dans ce relâchement se loge une force plus stable, plus durable, plus partagée.
Le soulagement discret d’une humanité assumée
Il ne s’agit pas de faire l’éloge de la faiblesse ni de tout verbaliser. Mais de pouvoir, parfois, renoncer à la mise en scène de la maîtrise. Ce renoncement ne nuit pas à l’image professionnelle ; il la transforme. Il ouvre un autre rapport au travail, plus souple, plus vrai. Et il autorise, autour de soi, une forme de contagion douce : celle d’un soulagement partagé. Quand la performance cesse d’être un devoir de façade, chacun retrouve un peu de place pour respirer, pour douter, pour simplement être là. Sans surjouer.