Psychologie

Créer son entreprise, travailler à son compte, refuser les hiérarchies : pour beaucoup, devenir indépendant est une manière de s’émanciper, de construire un cadre à son image. Mais chez certaines personnes, cette quête d’autonomie prend un tour plus rigide, presque vital. Il ne s’agit plus seulement d’un choix professionnel, mais d’une condition pour ne pas se sentir envahi ou pris au piège. Derrière l’enthousiasme pour la liberté peut se cacher une angoisse moins visible : celle d’être à nouveau dépendant, exposé, vulnérable dans un lien. L’indépendance devient alors une défense contre une dépendance affective perçue comme menaçante.

Maîtriser pour ne pas être soumis

Être à son compte permet d’échapper aux contraintes d’un supérieur, d’un cadre imposé, d’une équipe trop présente. Pour certaines personnes, cela correspond à un besoin de créer librement. Mais chez d’autres, le refus de toute structure extérieure révèle une peur plus archaïque. Contrôler chaque détail de son environnement professionnel sert à éviter toute remise de pouvoir à l’autre, comme si accepter une relation hiérarchique revenait à se perdre ou à se soumettre. Cette intolérance à la dépendance reflète souvent une histoire où les figures d’autorité ont été vécues comme imprévisibles, intrusives ou défaillantes.

Exemple : Julien, l’illusion d’une liberté absolue

Julien, 37 ans, a lancé sa société de conseil après avoir quitté un poste dans un grand cabinet où il disait se sentir “étouffé”. À présent, il travaille seul, choisit ses missions, fixe ses horaires. Il dit se sentir libre, mais avoue aussi avoir du mal à déléguer ou à accepter une critique. En thérapie, il évoque une enfance marquée par une mère très présente et un père autoritaire. L’idée de dépendre de quelqu’un d’autre, même ponctuellement, lui est insupportable, comme si cela l’exposait à une humiliation ou à un effondrement. L’indépendance n’est pas qu’un projet : c’est son unique manière de ne pas se sentir pris au piège d’un lien.

Une autonomie défensive

Ce type de fonctionnement peut être performant, mais il a un coût. L’autonomie, lorsqu’elle est construite sur la peur, devient rigide, défensive, peu poreuse. Elle empêche la confiance, freine la coopération, maintient l’individu dans une solitude fonctionnelle mais coupée du lien. Le sujet peut alors se sentir épuisé, débordé, incapable de s’appuyer sur autrui sans ressentir une tension intérieure. Ce n’est pas le travail seul qui épuise, mais l’obligation de tout porter sans jamais se relâcher. Sous couvert d’indépendance, se joue un rapport inquiet à l’altérité.

Réconcilier autonomie et relation

Reconnaître que le besoin d’autonomie peut masquer une peur ancienne de la dépendance permet d’assouplir le rapport au travail. L’enjeu n’est pas de renoncer à son indépendance, mais de ne plus en faire un rempart absolu contre le lien. Accepter que certaines formes de dépendance — professionnelles, affectives, symboliques — soient nécessaires à la vie psychique ouvre la possibilité de travailler autrement : en lien, en nuance, sans se sentir menacé. C’est souvent dans ce relâchement que l’indépendance devient réelle, et non défensive.

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