Besoin de validation : quand le regard du chef devient indispensable

Certains collaborateurs semblent avoir besoin de l’avis de leur supérieur à chaque étape de leur travail. Ils guettent un retour, recherchent une approbation, se sentent soulagés — ou dévastés — selon le ton d’un mail ou la formulation d’un commentaire. Cette attente permanente est souvent interprétée comme un manque de confiance en soi ou un besoin d’estime renforcé. Mais elle peut surtout révéler une dépendance plus profonde : celle d’un rapport symbolique au chef, investi comme figure centrale de validation existentielle, bien au-delà de la simple autorité professionnelle.
Un regard qui fonde l’identité
Quand la construction psychique s’est faite dans un climat où la reconnaissance parentale était rare, instable ou conditionnée, le besoin d’un regard validant peut devenir structurel. Le supérieur est alors chargé, inconsciemment, de dire si l’on vaut quelque chose, si l’on est « assez ». Ce n’est pas un retour d’information qui est attendu, mais une forme d’affirmation identitaire. La validation devient un besoin vital, et son absence réveille des affects intenses : honte, doute, sentiment de n’être rien sans l’autre. Le chef n’est plus un repère, mais un juge silencieux dont dépend toute sécurité intérieure.
Exemple : Adrien, suspendu à l’avis du directeur
Adrien, 33 ans, est consultant dans un cabinet de stratégie. Il excelle dans l’analyse, les présentations, l’organisation. Mais il est obsédé par les retours de son supérieur. Il consulte plusieurs fois par jour sa messagerie, cherche à recouper les signes d’approbation, et se sent immédiatement déstabilisé s’il ne reçoit pas de retour clair. En séance, il évoque un père très exigeant, toujours insatisfait, dont il espérait une forme de reconnaissance silencieuse. Le chef devient pour lui ce père symbolique dont le regard ferait enfin exister, à condition de mériter l’éloge. Adrien ne travaille pas seulement pour réussir : il travaille pour être vu.
Une dépendance travestie en motivation
Ce type de fonctionnement peut passer inaperçu, voire être valorisé. Le collaborateur semble perfectionniste, soucieux de bien faire, engagé. Mais cette énergie est souvent traversée par l’angoisse. Le moindre défaut devient insupportable, la critique est vécue comme un désaveu, et le manque de feedback crée une tension interne constante. Cette dépendance finit par rigidifier la posture, empêcher l’autonomie, et saturer le lien hiérarchique. Le supérieur, de son côté, peut se sentir mis en position de parent symbolique sans l’avoir souhaité, avec la charge implicite que cela suppose.
S’émanciper du regard fondateur
Sortir de cette attente suppose de différencier le regard professionnel du regard fondateur. Il ne s’agit pas de devenir indifférent, mais de pouvoir entendre une validation sans y suspendre sa valeur personnelle. Ce travail demande un déplacement intérieur : reconnaître que l’on n’est pas réductible au jugement d’un autre, que l’on peut se penser soi-même sans s’effondrer. Le chef retrouve alors sa place d’interlocuteur, et non de garant identitaire. Ce n’est qu’à cette condition que la validation redevient un repère, et non un besoin vital.