Psychologie

Régulièrement présenté comme une opportunité de se recentrer, le bilan de compétences séduit par sa promesse de clarté. Il s’agirait de mieux se connaître, de repérer ses forces, d’identifier un cap. Mais derrière cette démarche structurée, se glisse parfois une angoisse plus sourde : celle de recommencer sans savoir, de choisir à nouveau sans certitude, et surtout, de se tromper encore. Le bilan devient alors moins une quête que le symptôme d’un trouble : celui d’une identité professionnelle fragilisée, hantée par le doute, et saturée d’injonctions contradictoires.

Un désir de sens parasité par la peur de l’erreur

Ceux qui entament un bilan de compétences le font rarement par simple curiosité. Souvent, un malaise s’est installé, un décalage entre ce que l’on fait et ce que l’on sent être. Mais ce décalage ne suffit pas à ouvrir un chemin. Il active aussi une ancienne inquiétude : et si le problème ne venait pas du poste, mais de soi ? Et si l’on n’était pas fait pour “autre chose” non plus ? Cette peur paralysante contamine l’élan initial. Au lieu d’une recherche de sens, le processus devient une tentative de se prémunir contre le regret. On ne cherche plus ce qui nous anime, mais ce qui nous épargnera une nouvelle erreur.

L’exemple de Julie : chercher l’évidence pour ne plus douter

Julie, 38 ans, a quitté son emploi dans la communication après un burn-out. Elle entame un bilan de compétences avec enthousiasme, mais elle bloque à chaque étape. “Je veux être sûre cette fois”, répète-t-elle. Dès qu’un métier potentiel émerge, elle l’analyse, le décortique, l’anticipe jusqu’à l’épuisement. Elle ne cherche pas tant un projet qu’une certitude. En séance, elle évoque un choix d’orientation fait à 18 ans “par défaut”, puis jamais vraiment remis en question. Ce bilan devient, sans qu’elle s’en rende compte, le théâtre d’une réparation impossible. Elle n’explore pas le présent, elle tente de réécrire une scène ancienne où elle s’était sentie abandonnée à son propre flou.

Le bilan comme tentative de conjurer la culpabilité

Ce besoin de se réorienter peut être porté par une culpabilité latente : celle d’avoir trop attendu, de s’être laissé vivre, d’avoir suivi des chemins dictés par d’autres. Le bilan devient alors un rituel de réhabilitation, où il faudrait faire “le bon choix” cette fois. Mais cette pression intérieure nuit à la libre circulation du désir. À trop vouloir réparer une erreur passée, on s’empêche d’habiter l’incertitude fertile du présent. L’outil méthodique du bilan ne résout pas l’angoisse existentielle qu’il ravive : celle de devoir poser un acte, avec les moyens du moment, sans la garantie d’un savoir parfait sur soi.

Accueillir le flou comme espace de subjectivation

Un bilan de compétences n’est fécond que s’il autorise le doute, le tâtonnement, la contradiction. Ce n’est pas un verdict à obtenir, mais un espace à ouvrir. L’objectif ne devrait pas être de “trouver” enfin ce pour quoi on est fait, mais de faire place à une parole vivante sur ce qui nous met en mouvement. Accepter de ne pas tout clarifier, c’est retrouver un pouvoir d’invention. Le bilan n’est pas la fin d’un flou, c’est un lieu pour le traverser. Et peut-être aussi, pour apprendre à s’autoriser à se tromper — autrement, différemment, et surtout, sans s’abandonner.

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