Psychologie

Le bilan de compétences promet souvent de mieux se connaître. On y explore ses savoir-faire, ses appétences, ses expériences. Mais dans cette cartographie détaillée de ce que l’on sait faire, une dimension essentielle peut rester en dehors du cadre : le désir. Ce que l’on veut réellement, ce qui nous anime au-delà des compétences. Certains sortent d’un bilan avec un profil très clair, mais sans élan, sans évidence. Comme si l’on avait balisé toutes les routes possibles, sans jamais se demander laquelle on voulait vraiment emprunter. Cette disjonction entre efficacité méthodologique et vide affectif est moins rare qu’il n’y paraît.

Un excès de lucidité pour éviter le trouble du choix

Identifier ses compétences, c’est rassurant. Cela donne une impression de maîtrise, de continuité, de légitimité. Mais cette lucidité peut devenir un refuge contre la confrontation au désir. Car le désir n’est pas toujours raisonnable. Il peut contredire la logique du CV, heurter l’image construite, ou déstabiliser les projections familiales ou sociales. Dans ce contexte, le bilan peut glisser vers une évaluation désaffectivée : on répertorie, on compare, on classe. Mais rien ne vibre. Le sujet devient expert de lui-même, mais sans point d’ancrage subjectif. Il sait, mais ne veut rien vraiment. Ou plutôt : il ne s’autorise pas à vouloir.

L’exemple de Julien : tout savoir, mais ne rien choisir

Julien, 40 ans, cadre dans le secteur de l’audit, suit un bilan de compétences après un épuisement professionnel. Très investi, il produit un travail complet, structuré, pertinent. Il identifie des compétences transversales, des environnements professionnels compatibles, des pistes de reconversion. Mais à chaque proposition, il répond “oui, mais…” Rien ne le retient, rien ne le projette. En séance, il dit : “je pourrais faire tout ça, mais je n’en ai pas envie”. Lorsqu’on lui demande ce qui le ferait vibrer, il répond “je ne sais pas”. Il évoque un parcours “logique”, fait de décisions “cohérentes”. Mais cette cohérence a eu un prix : elle a peu à peu recouvert ce qu’il aurait pu désirer. Son bilan devient alors le miroir d’une maîtrise vide, d’un savoir sans investissement affectif.

Le désir comme absence structurante

Le désir ne se déduit pas des compétences. Il ne se révèle pas dans une grille. Il surgit là où le discours vacille, là où le sujet s’émeut ou résiste. C’est dans les hésitations, les rejets, les enthousiasmes discrets qu’il se laisse entrevoir. Une cartographie trop nette peut figer la parole, empêcher l’inattendu. Elle sécurise, mais elle étouffe parfois. Le danger, ce n’est pas de ne pas savoir ce que l’on veut, c’est de croire qu’un projet professionnel peut être construit sans contact avec ce qui nous anime en profondeur. Le bilan, s’il reste méthodique, court alors le risque de produire des reconversions mortes-nées : logiques sur le papier, mais inertes dans le réel.

Réhabiliter le flou comme accès au vivant

Il est nécessaire de laisser une place au trouble, au flou, au non-savoir. Ce que l’on veut ne se sait pas toujours d’avance, et encore moins sous la forme d’un tableau de synthèse. Le bilan de compétences devrait être un lieu où la parole prend le pas sur la grille, où le sujet peut dire aussi ce qu’il ne veut plus, ce qu’il ne comprend pas encore. Retrouver une forme d’élan suppose de sortir du contrôle. De se réconcilier avec la part irrationnelle du désir, qui ne se mesure pas, mais se ressent. C’est à ce prix que le projet cesse d’être une solution, pour devenir un prolongement vivant de soi.

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