Psychologie

Le besoin de créer est souvent célébré comme une forme d’expression de soi, un espace de liberté, un élan vital. Mais pour certaines personnes, cette pulsion devient si centrale qu’elle finit par structurer leur rapport au monde. Créer devient alors non seulement une vocation, mais une condition existentielle, une manière de garder le contrôle, d’éviter certaines formes de lien ou de dépendance. Derrière ce besoin impérieux d’inventer, d’écrire, de façonner, il peut y avoir une stratégie inconsciente de refus : refus de se soumettre à un cadre, à une autorité, à une demande extérieure qui viendrait troubler la continuité de soi.

Créer pour rester maître de son espace

La création permet une forme d’autonomie symbolique : c’est l’univers que l’on génère soi-même, sans autorisation à demander, sans hiérarchie à respecter. Ce privilège d’être seul à bord, loin d’être anodin, répond parfois à une angoisse plus ancienne. La peur d’être envahi, instrumentalisé, déformé par l’autre pousse certains à s’auto-suffire dans la création, à fuir les cadres collectifs ou les lieux de subordination. L’atelier, la scène ou l’écran deviennent alors les seuls espaces habitables, car ils garantissent une maîtrise sur ce qui advient. Ce n’est pas seulement un plaisir de créer, c’est un refuge contre l’expérience de la dépendance.

Exemple : Claire, toujours à l’initiative

Claire, 33 ans, est graphiste indépendante. Elle refuse toute collaboration durable, se méfie des collectifs, évite les commandes trop encadrées. Elle travaille sur ses propres projets, publie en ligne, conçoit des objets en série limitée. Lorsqu’on lui propose un poste salarié, elle décline, invoquant un besoin de liberté. Mais au fil des séances, il apparaît que Claire associe la dépendance à une forme de trahison de soi, une réédition de liens familiaux où elle s’est sentie absorbée par le besoin émotionnel de ses proches. Créer seule devient alors un acte de protection : elle tient à distance ce qui pourrait la contraindre ou la redéfinir.

L’illusion d’autonomie totale

Ce type de trajectoire peut donner l’illusion d’une indépendance absolue. Pourtant, à force de se protéger de la dépendance, le sujet peut aussi se priver de soutien, de collaboration, voire d’évolution. Le besoin de tout générer par soi-même devient une impasse, car il interdit toute ouverture réelle au dehors. Ce repli créatif, s’il reste inconscient, peut figer la personne dans une solitude paradoxale : elle reste active, produisante, mais enfermée dans un système fermé où rien ne vient la surprendre ou la traverser. La liberté recherchée devient alors une contrainte déguisée.

Accueillir la vulnérabilité dans l’acte de créer

Reconnaître que créer peut aussi être un moyen de se défendre permet de redonner à cet élan une dimension plus souple, plus vivante. Il ne s’agit pas d’abandonner la création, mais de cesser de l’investir comme une citadelle. Accepter que l’on ait besoin des autres, que la dépendance n’est pas nécessairement destructrice, ouvre la possibilité d’une créativité habitée, en dialogue, moins crispée. Ce n’est qu’en accueillant la part vulnérable de soi que la création peut devenir un lieu de transformation plutôt qu’un refuge immobile.

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