Ce que nos réactions de spectateur disent de nous

Regarder un film n’est jamais un geste neutre. Si deux spectateurs assistent à la même projection, leurs réactions pourront être diamétralement opposées : l’un en ressortira ému aux larmes, l’autre agacé ou indifférent. Pourquoi ? Parce que le cinéma, loin d’être un simple divertissement, agit comme un révélateur psychique. Nos émotions, nos résistances, nos rejets en disent bien plus sur nous que sur le film lui-même. Se penser soi-même en train de regarder, c’est s’ouvrir à une lecture réflexive précieuse : comprendre que l’expérience de spectateur est aussi un miroir de nos conflits, de nos désirs et de nos défenses inconscientes.
Le film comme déclencheur projectif
Le cinéma offre une matière malléable que le spectateur investit de manière singulière. Chaque image, chaque scène devient le support de projections inconscientes. Ce n’est pas le film en soi qui provoque telle émotion, mais ce qu’il réveille chez celui qui regarde. Un film sur la solitude ne touche pas tout le monde de la même façon : il réactive, pour certains, un vécu de manque affectif, pour d’autres un besoin de retrait. Observer ses réactions, c’est donc interroger ce que l’on projette sur l’écran. L’expérience du film devient alors une occasion d’en apprendre davantage sur son propre monde intérieur.
Les défenses en action
Nos résistances face à certains films en disent long sur nos défenses psychiques. L’agacement, l’ennui, le rejet soudain d’une scène sont souvent le signe d’une défense activée. Ce que nous ne supportons pas de voir à l’écran est souvent ce que nous ne voulons pas reconnaître en nous-mêmes. Se penser en train de regarder, c’est prendre conscience de ces mouvements défensifs. Pourquoi tel personnage me hérisse-t-il ? Pourquoi cette scène me laisse-t-elle froid ? Derrière ces réactions se loge souvent un matériel inconscient que le film met en lumière malgré nous.
L’expérience du transfert
Regarder un film active aussi des transferts puissants. Nous investissons certains personnages, nous projetons sur eux des figures parentales, des objets d’amour ou de haine. Ce phénomène explique pourquoi nous nous attachons intensément à tel héros ou pourquoi nous détestons viscéralement tel autre. En observant ces transferts, le spectateur peut prendre conscience de dynamiques relationnelles qui le traversent au quotidien. Le cinéma devient alors un espace de jeu projectif, où l’on rejoue, sous couvert de fiction, des scénarios affectifs personnels. Se penser en train de regarder, c’est ainsi entrer dans une position d’analyse de soi.
Exemple : Marriage Story, un miroir relationnel
Dans Marriage Story de Noah Baumbach, le spectateur est confronté à un récit de séparation qui active de fortes réactions transférentielles. Certains se sentent spontanément du côté du personnage d’Adam Driver, d’autres de celui de Scarlett Johansson, souvent avec une intensité surprenante. Ces réactions ne disent pas tant le rapport objectif au film que la manière dont chacun rejoue, à travers ces personnages, ses propres vécus de conflit ou de séparation. Marriage Story montre ainsi comment un film peut devenir un miroir de nos propres dynamiques relationnelles, et comment se penser en train de regarder ouvre à une lecture plus riche de son expérience de spectateur.
Quand le cinéma nous donne à nous observer nous-mêmes
Si nos réactions de spectateur sont si précieuses à observer, c’est qu’elles nous parlent de nous-mêmes. Se penser en train de regarder, c’est accepter que l’écran agit comme un révélateur : il nous met au travail, bien au-delà de ce que nous croyons simplement « voir ». Regarder autrement, c’est ainsi transformer chaque film en un espace de connaissance de soi, en un miroir silencieux de notre vie psychique.