Changer souvent de chef : quête de reconnaissance ou peur de l’attachement ?

Dans certaines trajectoires professionnelles, un motif discret se répète : à chaque changement de poste, de service ou de structure, un nouveau chef. La personne évoque la recherche de sens, l’envie d’apprendre, le besoin d’avancer. Mais cette mobilité, derrière sa rationalité apparente, peut signaler une impossibilité plus profonde à s’ancrer dans une relation hiérarchique durable. Comme si rester sous l’autorité d’un même supérieur réveillait une tension psychique difficile à soutenir, une dépendance affective trop intense, ou à l’inverse, une attente de reconnaissance impossible à satisfaire.
L’attachement mis à l’épreuve
Être sous l’autorité d’un même chef implique, au fil du temps, de se confronter à l’inévitable : les limites, les désaccords, la répétition. Ce lien hiérarchique peut alors se transformer en miroir d’un attachement plus archaïque, dans lequel se rejoue la peur d’être dominé, déçu ou abandonné. Pour éviter cette réactivation, certaines personnes préfèrent la mobilité à la stabilité. Changer de chef devient alors une manière de ne jamais se laisser prendre dans un lien trop chargé, de maintenir une distance suffisante pour ne pas s’attacher — ni risquer d’être trahi.
Exemple : Loïc, à la recherche d’un cadre idéal
Loïc, 37 ans, a occupé quatre postes en huit ans dans le secteur social. À chaque prise de fonction, il s’enthousiasme pour le ou la responsable, se sent porté, soutenu. Mais quelques mois plus tard, il commence à noter les défauts, la rigidité, le manque de vision, et finit par demander un transfert ou chercher ailleurs. En séance, il raconte un père très valorisé dans ses souvenirs, mais toujours décevant dans les faits : absent, changeant, peu investi. Chaque chef devient, pour Loïc, à la fois une promesse de reconnaissance et un rappel douloureux de cette attente jamais comblée. Partir, c’est se protéger d’une nouvelle blessure.
Le chef comme figure de bascule
Dans cette configuration, le chef cristallise une tension entre désir d’être vu et peur d’être dépendant. Trop d’attente rend la relation étouffante, pas assez de reconnaissance la rend insupportable. La fuite devient alors le seul moyen de retrouver de l’air, mais aussi de relancer l’espoir ailleurs. Chaque nouveau poste promet un lien plus juste, plus équilibré, mais ne fait que repousser la confrontation avec l’attachement lui-même. Le sujet croit chercher un meilleur cadre, mais il fuit surtout la vulnérabilité que suppose toute fidélité à une relation hiérarchique.
Rester, malgré la déception
Sortir de ce cycle suppose de reconnaître que le problème ne réside pas toujours dans le chef, mais dans la scène relationnelle qu’il réveille. Accepter qu’aucune autorité ne sera idéale, que toute relation comporte une part de manque, permet de rester sans se figer. Il devient possible d’habiter le lien hiérarchique sans s’y dissoudre ni s’en retirer trop vite. Rester, c’est parfois apprendre à traverser l’ambivalence, à tolérer la déception sans la vivre comme un échec. Et c’est dans cette constance que peut se nouer un rapport apaisé à l’autorité.