Psychologie

L’euphorie de cocher une case, le plaisir discret mais intense d’une tâche accomplie, la satisfaction immédiate d’une ligne barrée… Certaines personnes ne peuvent concevoir une journée sans to-do list. Si cela semble relever d’une simple organisation, ce besoin de listes peut cacher un mécanisme psychique plus profond : celui de se rassurer sur sa propre valeur d’être.

Remplir la journée pour éviter le vide

La checklist structure le temps, donne une direction, rend visible l’effort. Mais dans certaines configurations, elle devient une preuve de légitimité existentielle. Cocher une ligne, c’est exister. Ne rien accomplir, c’est risquer l’angoisse du flou, voire de l’inutilité. Ce rapport à la liste traduit alors un lien incertain à sa propre valeur : ce n’est pas l’action qui nourrit, mais le fait qu’elle puisse être validée, enregistrée, comptabilisée. Sans ce retour concret, la journée semble vaine, et le sujet, flottant.

Faire plutôt qu’être : une défense ancienne

Derrière cette quête d’efficacité se cache souvent une ancienne confusion entre l’amour reçu et les performances fournies. Certaines personnes n’ont été valorisées que lorsqu’elles faisaient bien, vite, utile. En internalisant cette équation, elles deviennent leurs propres surveillantes : elles dressent des listes pour rassurer une part d’elles-mêmes qui doute d’avoir le droit d’exister sans accomplir. Cette survalorisation du « faire » empêche la gratuité, la rêverie, ou même l’imprévu, qui n’a pas sa place dans la case.

L’exemple de Sophie : cocher pour tenir debout

Sophie, 34 ans, travaille dans le secteur médico-social. Elle note tout, classe tout, structure chaque tâche de sa semaine dans un carnet à code couleur. Chaque coche lui procure un apaisement immédiat. Mais dès qu’un imprévu survient ou qu’un jour reste vide, elle se sent inutile, presque coupable. Enfant, elle a appris à briller pour ne pas inquiéter une mère fragile. Aujourd’hui, elle perpétue ce fonctionnement, comme si cocher l’aidait à rester visible, valable, tolérable. Le soulagement narcissique vient ici colmater un manque plus ancien : celui de sentir qu’elle existe même sans prouver.

Un rythme qui épuise et fige le lien

Ce mode de fonctionnement rassure mais isole. Il permet de maintenir une illusion de maîtrise, au prix d’un épuisement silencieux. Le lien à l’autre devient secondaire, car moins objectivable que la réussite d’une tâche. Le risque est alors double : une suradaptation au monde extérieur, et une incapacité croissante à ressentir ses besoins profonds. On devient une productrice d’actions, et non plus une personne en lien. Cette posture peut éloigner des relations intimes, où il faut accepter de ne rien accomplir… si ce n’est être là.

Réhabiliter l’être derrière le faire

Sortir de ce rapport compulsif aux listes ne veut pas dire renoncer à l’organisation, mais retrouver une valeur d’être qui ne passe pas uniquement par la productivité. Cela suppose de pouvoir se supporter sans preuve immédiate, sans résultat mesurable. Apprendre à se sentir vivant dans l’inachevé, dans le temps ouvert, dans l’échange imprévu. Ce déplacement intérieur permet de retrouver du souffle, mais aussi du lien : avec soi, et avec les autres, en dehors du cadre rassurant du tableau à cocher.

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