Ne pas réussir à se former : les raisons inconscientes de l’échec

Il existe des parcours où, malgré les efforts, les conditions favorables et la motivation affichée, la formation ne « prend pas ». Les contenus semblent flous, la mémoire défaillante, la régularité difficile à tenir. Tout se passe comme si une partie de soi résistait au processus. Cet échec à l’apprentissage n’est pas toujours un défaut d’intelligence ou de méthode : il peut être l’expression silencieuse d’un conflit intérieur non résolu. La formation, au lieu de soutenir un mouvement, devient le lieu d’une tension invisible entre désir de transformation et peur du changement.
Quand le savoir devient menaçant
Apprendre implique de changer. Or tout changement psychique, même désiré, suppose une perte : celle d’une identité, d’une place ou d’un récit établi. Pour certains, acquérir un nouveau savoir, c’est implicitement trahir une fidélité ancienne, sortir d’un cadre connu, briser un équilibre défensif. La difficulté ne vient pas du contenu à assimiler, mais de ce que ce savoir nouveau remet en cause. Être formé, ce n’est pas seulement intégrer des connaissances, c’est se rendre disponible à une mutation intérieure que tous ne peuvent tolérer au même rythme.
L’auto-sabotage comme protection
Lorsque l’échec s’installe de façon répétée dans une formation, il faut parfois y entendre une forme d’auto-sabotage défensif. Ce n’est pas que l’individu ne veut pas réussir, mais qu’il ne peut pas encore se l’autoriser sans se confronter à une angoisse plus archaïque : celle de sortir du cadre, d’être vu, ou de s’extraire de son groupe d’origine. Réussir signifierait alors s’exposer, dépasser les siens, ou assumer un mouvement d’individuation qui culpabilise. Dans ce contexte, rater protège. La formation devient une scène où le sujet rejoue inconsciemment sa difficulté à s’autoriser un changement subjectif.
L’exemple de Karim : ne pas apprendre pour rester à sa place
Karim, 32 ans, a commencé une formation en gestion de projet. Très motivé au départ, il abandonne au bout de trois mois. Il invoque un manque de temps, une surcharge mentale, mais reconnaît que d’autres y arrivent dans les mêmes conditions. Lorsqu’il en parle, il évoque son père, ouvrier, “pragmatique” et méfiant envers l’école. Il dit ne pas vouloir « devenir quelqu’un d’autre ». Derrière ces mots, on entend la peur d’un déplacement symbolique : celle de trahir l’origine, de changer de classe, de rompre un attachement silencieux. Karim ne rate pas la formation : il se protège d’une réussite qu’il associe à une mise en danger affective.
Réussir n’est pas toujours supportable
Dans certains contextes, la réussite devient plus difficile à porter que l’échec. Elle engage, déplace, confronte. Et si le sujet n’est pas prêt à assumer les conséquences de ce mouvement, il peut inconsciemment faire en sorte d’en bloquer la possibilité. Loin d’être un simple manque d’assiduité, l’échec à la formation peut être le symptôme d’une ambivalence profonde : celle de vouloir changer tout en maintenant une fidélité souterraine au passé. Comprendre cela, c’est ne plus réduire l’apprentissage à un geste technique, mais le reconnaître comme un processus psychique à part entière.