Psychologie

Dans de nombreuses organisations, on observe des figures de proximité marquées entre un supérieur et un collaborateur ou une collaboratrice. Cette relation, souvent valorisée pour sa confiance mutuelle et sa fluidité, peut aussi soulever des questions. Pourquoi cette personne, et pas une autre ? Pourquoi cette loyauté particulière, cette attention accrue, ce traitement à part ? Il arrive que cette alliance professionnelle repose sur un déplacement inconscient : la réactivation d’un lien parental, dans lequel l’employé·e occupe une place d’enfant élu, protecteur ou protégé. Ce rôle, loin d’être neutre, structure alors la dynamique du pouvoir.

Une place à part, mais pas toujours choisie

Le fait d’être proche d’un supérieur hiérarchique peut donner un sentiment de sécurité, d’appartenance, voire de légitimité renforcée. Mais il peut aussi induire une forme de confusion : est-ce pour mes compétences que je suis ici, ou pour le lien que je représente ? Ce flou peut devenir pesant, car la place n’est pas entièrement professionnelle : elle est investie affectivement, voire symboliquement. La personne concernée peut alors être sursollicitée, protégée, ou au contraire instrumentalisée, sans que cela soit clairement nommé. Elle devient le “fils” ou la “fille” du chef, avec les bénéfices que cela procure, mais aussi les dettes implicites que cela génère.

Exemple : Thomas, entre loyauté et inconfort

Thomas, 32 ans, a été rapidement repéré par son directeur dans une agence de communication. Il est devenu son bras droit, impliqué dans les décisions, consulté sur des sujets confidentiels. En apparence, tout va bien. Mais Thomas se sent de plus en plus mal à l’aise dans les réunions d’équipe. Il redoute les jalousies, évite de donner son avis, se sent parfois utilisé. En thérapie, il évoque une adolescence passée auprès d’un père exigeant mais absent, qu’il tentait toujours de satisfaire. La relation au chef rejoue cette dynamique : être le fils préféré, mais aussi le garant silencieux du système. Thomas craint que s’éloigner ne soit vécu comme une trahison, alors même qu’il étouffe dans cette place non choisie.

Une alliance qui protège… et enferme

Être “l’enfant du chef”, c’est bénéficier d’un regard attentif, mais c’est aussi renoncer à une place égalitaire. On devient une figure à part, ni tout à fait subordonnée, ni totalement autonome, ce qui rend difficile toute critique, toute divergence ou tout repositionnement. Cette situation peut nourrir un sentiment de devoir permanent, d’obligation de fidélité, voire une angoisse de perdre une protection vitale. L’alliance devient un filet affectif, plus qu’une reconnaissance de compétence. Le sujet se retrouve prisonnier d’un lien implicite, qu’il n’a pas forcément choisi, mais dont il ne parvient pas à se dégager sans culpabilité.

Reprendre sa place d’adulte

Rompre avec cette dynamique ne signifie pas briser le lien, mais réinterroger la nature de la place occupée, et la possibilité d’exister autrement que dans le rôle de l’enfant. Cela suppose de travailler la loyauté familiale transposée dans l’espace professionnel, et d’oser occuper une place adulte : ni préférée, ni effacée, simplement juste. Ce déplacement permet de restaurer une forme de liberté intérieure, d’affirmer des désaccords, de faire valoir sa légitimité sans dépendre d’une attention exclusive. C’est souvent à ce prix que l’on peut retrouver une vraie autorité sur sa trajectoire.

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