Être toujours en opposition : esprit critique ou conflit archaïque avec l’autorité ?

Dans certains milieux professionnels, il existe des figures systématiquement contestataires. Elles remettent en question les décisions, suspectent les intentions, décryptent les incohérences avec acuité. À première vue, cela peut sembler salutaire, porteur d’un esprit critique nécessaire. Mais lorsque cette opposition devient automatique, rigide, irréductible, elle peut trahir un fonctionnement plus archaïque : celui d’un conflit non résolu avec l’autorité, où chaque supérieur est perçu comme une menace pour l’intégrité psychique.
Le chef comme déclencheur
Pour ces personnes, la figure du chef active bien plus qu’un simple désaccord d’opinion. Elle réveille une mémoire affective ancienne, dans laquelle l’autorité n’était pas sécurisante mais intrusive, humiliante, voire menaçante. Le supérieur devient alors le représentant symbolique d’un pouvoir abusif ou désorganisant, qu’il faut à tout prix tenir à distance. L’opposition devient un réflexe de protection, un moyen de ne pas se laisser envahir, de ne pas se soumettre à une parole vécue comme potentiellement destructrice.
Exemple : Mathieu, en lutte permanente
Mathieu, 35 ans, travaille dans une collectivité territoriale. Intelligent, cultivé, il entre très vite en tension avec ses chefs successifs. Il critique leurs choix, relève leurs contradictions, propose sans relâche des contre-projets. Ses collègues oscillent entre admiration et lassitude. En thérapie, il décrit un père autoritaire, dont la parole faisait loi, sans discussion possible. Face à ses chefs, Mathieu ne peut s’empêcher de contester, comme s’il cherchait à reprendre le pouvoir volé dans l’enfance, à s’affirmer contre une figure qui l’écrase. Mais il s’épuise dans ce combat perpétuel.
Un esprit critique piégé
L’opposition permanente n’est pas toujours perçue comme pathologique, d’autant qu’elle peut se parer d’arguments brillants, voire légitimes. Mais elle enferme souvent le sujet dans une boucle sans fin : celle d’un adolescent face à une autorité parentale omnipotente, qui ne laisse d’autre choix que la révolte. Cette posture empêche la coopération, bloque l’adhésion, et prive le sujet d’une position adulte dans la relation hiérarchique. À force de contester, il ne peut plus se situer librement : toute reconnaissance devient une soumission, toute écoute une menace.
Accepter l’autorité sans s’effacer
Sortir de cette mécanique ne suppose pas de se soumettre, mais de différencier le chef réel de la figure archaïque qu’il représente. Cela passe par un travail de reconnaissance du conflit ancien, de l’humiliation fondatrice, du besoin de réhabilitation. Ce n’est qu’en se séparant psychiquement du père intrusif que l’on peut commencer à entendre une autorité sans se sentir attaqué. L’opposition cesse alors d’être une nécessité, pour devenir une possibilité, parmi d’autres. Et la parole retrouve sa souplesse, sa liberté.