Psychologie

Certaines personnes semblent douées pour tout, sauf pour s’écouter. Elles avancent, réussissent, cochent les bonnes cases, mais laissent systématiquement de côté ce qui les touche vraiment. Ce paradoxe n’est pas le fruit du hasard. Il révèle une défense psychique puissante : éviter l’engagement dans ses élans profonds pour préserver l’image de soi. Car s’autoriser ce que l’on désire expose à un risque bien plus grand que celui de l’erreur : celui de l’échec vécu comme une blessure narcissique. Mieux vaut, alors, ne jamais vraiment essayer.

Le désir comme territoire trop fragile

Choisir ce que l’on aime vraiment, ce qui nous attire sans détour, suppose de s’y reconnaître. Mais cette reconnaissance peut faire peur, car elle engage. Elle dit : “c’est moi, c’est ce que je veux”. Et si cela échoue ? Si cela ne suffit pas ? Le danger n’est pas alors de changer de voie, mais de voir s’effondrer une part intime de soi. Le désir devient un lieu trop risqué pour être investi. Alors on se tourne vers des choix plus lointains, plus techniques, plus neutres. Pas dénués d’intérêt, mais désaffectivés. On se protège ainsi d’une blessure possible, en sacrifiant ce qui aurait pu mettre en jeu la part la plus vivante de soi.

L’exemple de Louis : éviter le cœur pour ne pas chuter

Louis, 24 ans, est étudiant en école de commerce. Il réussit brillamment, sans jamais se sentir concerné. Il dit souvent : “ça me correspond, mais je ne suis pas passionné”. En séance, il évoque une adolescence marquée par la performance, les félicitations, la nécessité de “ne jamais décevoir”. Il aimait dessiner, écrire, mais n’a jamais envisagé de s’y consacrer. “Si j’échouais là-dedans, je ne m’en serais pas remis.” Ce qu’il évite, ce n’est pas l’échec en soi, c’est l’effondrement de l’image qu’il s’est construite. Il choisit donc ce qu’il maîtrise, ce qui le protège. Mais cette protection a un prix : celui d’une fatigue sourde, d’un sentiment d’imposture, et d’un vide qu’il peine à nommer.

L’évitement du risque comme maintien de l’idéal

Ce mécanisme de détournement n’est pas une lâcheté, mais une stratégie de conservation. Il permet de maintenir intact un idéal de soi, en évitant les confrontations trop crues avec la réalité. Car désirer expose, et l’exposition fragilise. Pour ceux dont l’estime de soi s’est construite dans le regard de l’autre, dans la réussite visible, s’investir dans une voie désirée est une menace. Si cela ne fonctionne pas, ce n’est pas seulement une erreur, c’est un échec du sujet tout entier. En écartant les choix porteurs de désir, on préserve une illusion d’invulnérabilité.

Retrouver le courage de vouloir à nouveau

Ce n’est qu’en accueillant la possibilité de la faille que le désir peut redevenir un moteur. Il ne s’agit pas de tout bouleverser, mais d’accepter que l’on puisse vouloir sans être sûr, essayer sans garantir le succès. Revenir à ses élans initiaux, les éprouver, les mettre à l’épreuve du réel, permet parfois de réinsuffler du vivant dans un parcours trop lisse. Ce n’est pas le changement qui est en jeu, mais la réappropriation d’un geste : celui de s’exposer un peu, là où l’on avait choisi de rester intact.

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