Psychologie

Être souriant, enthousiaste, toujours disponible : dans de nombreuses organisations, l’attitude positive est devenue un impératif implicite. Officiellement valorisée comme un signe de professionnalisme et d’engagement, elle devient, à force, une injonction silencieuse. Derrière les rires polis et les échanges cordiaux, se cache parfois une fatigue tue, une souffrance contenue, une forme de désaccord que l’on n’ose pas nommer.

L’enthousiasme comme obligation de façade

Affirmer qu’on va bien, afficher une bonne humeur constante, éviter les plaintes : tout cela paraît anodin. Mais dans certaines entreprises, le registre émotionnel est étroitement contrôlé. La plainte dérange, la colère fait peur, la lassitude est perçue comme un manque de motivation. Il faut alors composer, ajuster, masquer. Cette stratégie d’adaptation crée un clivage entre ce que l’on vit intérieurement et ce que l’on montre. Avec le temps, ce décalage use, fragilise, isole.

Une pression d’autant plus forte qu’elle est invisible

Contrairement aux injonctions explicites, la pression à la positivité se manifeste dans les regards, les silences, les réactions feutrées. On comprend vite ce qui est attendu, sans qu’on ait besoin de nous le dire. Le salarié apprend à sourire quand il est épuisé, à dire “ça va” quand il est inquiet, à ne pas exprimer ce qui pourrait “plomber l’ambiance”. Dans certains milieux, le bien-être devient un devoir, et la vulnérabilité un écart à corriger. Ce climat rend toute expression authentique difficile, voire risquée.

L’exemple d’Amélie, 40 ans

Amélie travaille dans une entreprise qui valorise le “bon esprit” et l’agilité émotionnelle. Elle a fini par ne plus parler de sa fatigue, ni de ses doutes. Même en réunion, elle se sentait tenue de valider, d’encourager, de faire preuve d’enthousiasme. Quand elle a vécu une séparation personnelle douloureuse, elle a continué à afficher le même visage professionnel, jusqu’à ressentir une forme d’engourdissement intérieur. C’est en constatant qu’elle ne parvenait plus à ressentir de joie, même hors travail, qu’elle a compris que quelque chose s’était figé. Un arrêt maladie lui a permis de reprendre contact avec ses émotions, et de réintroduire, lentement, une parole plus juste au travail.

Une culture émotionnelle normée

L’entreprise impose rarement directement de se taire. Mais elle sélectionne subtilement les émotions acceptables : celles qui motivent, rassemblent, dynamisent. Les émotions plus complexes, ambivalentes, critiques, sont vues comme menaçantes. Cette sélection produit un environnement lisse en surface, mais tendu en profondeur. Certains s’y adaptent parfaitement, au prix d’un désaccord croissant avec eux-mêmes. D’autres s’épuisent ou finissent par s’effacer. Dans tous les cas, le coût psychique est réel, même s’il ne se voit pas.

Retrouver le droit à l’authenticité

Il ne s’agit pas de revendiquer un “tout dire” brut ou agressif, mais de restaurer la possibilité d’exprimer ce qui est vrai. Accepter qu’un professionnel puisse avoir des moments de creux, de doute, de résistance. Introduire de la nuance, même dans les échanges formels. Ce droit à l’authenticité est souvent un pas vers la sécurité intérieure, et vers des relations plus vivantes. Derrière le masque du “ça va” imposé, c’est un rapport plus libre à soi et aux autres qui peut commencer à émerger.

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