Psychologie

Travailler dans la fonction publique, c’est répondre à une mission d’intérêt général. Ce principe attire de nombreuses personnes en quête de sens. Mais pour certain·es, ce sens prend une forme extrême : celle du sacrifice personnel, du don de soi sans limite, de l’effacement progressif des besoins individuels. Ce n’est plus seulement le métier qui structure l’identité, mais une posture morale, parfois inconsciente, où l’on se définit par ce que l’on donne, ce que l’on supporte, et ce que l’on ne réclame jamais. Lorsque la fonction publique devient le lieu d’un effacement de soi, elle révèle une logique identitaire profondément marquée par la culpabilité et la loyauté.

Le service comme refuge contre le désir

Certaines trajectoires professionnelles dans le public ne sont pas motivées par la sécurité ou la stabilité, mais par une dynamique plus silencieuse : le besoin de se rendre utile pour mériter sa place dans le monde. Dans ce cadre, le désir personnel s’efface au profit d’une valeur surinvestie : être au service. Cette posture, valorisée socialement, peut cacher un rapport altéré à la légitimité. Ne pas demander, ne pas poser de limites, toujours faire plus, sont autant de manières de se maintenir dans une forme de présence morale, irréprochable, mais épuisante. Le sujet ne travaille pas seulement pour l’État : il se justifie d’exister à travers ce qu’il donne sans compter.

Un exemple : Claire et la place effacée

Claire, 43 ans, est agent dans une collectivité territoriale. Elle est investie, ponctuelle, toujours disponible. Mais elle ne prend jamais ses jours de récupération, accepte les modifications de planning sans broncher, et se tait face aux injustices. Lorsqu’elle parle de son métier, c’est toujours en termes de devoir, rarement de plaisir ou de projet. En séance, elle évoque une enfance marquée par la présence écrasante d’une mère malade, à laquelle elle a tout donné. Ce qu’elle rejoue aujourd’hui, c’est cette place de soutien invisible, indispensable mais silencieux. Son appartenance à la fonction publique, loin d’être neutre, correspond à une structure psychique : être celle qui aide, sans jamais déranger.

L’effacement comme fidélité inconsciente

L’effacement de soi dans le travail public ne vient pas de l’institution elle-même, mais de ce que certains y projettent : une continuité entre leur histoire intime et la posture du dévouement. Travailler pour les autres devient une manière de rester fidèle à des valeurs transmises, ou à des rôles précocement endossés. Cette loyauté affective devient une identité. Le salarié ne sait plus comment faire autrement. Demander, poser une limite, penser à soi suscitent malaise ou culpabilité. Ce n’est pas l’environnement qui impose le sacrifice, mais l’organisation interne de la personne, façonnée bien avant l’entrée dans l’institution.

Réapprendre à exister dans le lien professionnel

Se dégager de cette posture sacrificielle ne signifie pas devenir individualiste, mais réapprendre à exister sans devoir s’effacer. Cela suppose un travail d’identification de ces loyautés anciennes, souvent transmises dans le silence. Il s’agit de distinguer ce qui relève de la mission de service public et ce qui relève d’un besoin de reconnaissance différée, ou d’une peur d’exister pleinement. Repenser sa place, c’est ouvrir un espace pour que le travail ne soit plus seulement une justification morale, mais aussi un lieu d’ajustement, où le soin donné aux autres ne s’exerce plus au prix de soi-même.

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