Psychologie

Certaines personnes ne comptent jamais leurs heures. Elles prolongent systématiquement leurs journées, s’investissent au-delà des attentes, prennent en charge ce que d’autres laissent de côté. À première vue, cela semble relever du zèle, de l’engagement ou d’un sens aigu du travail bien fait. Mais ce surinvestissement n’est pas toujours lié au poste ou à l’ambition. Il répond souvent à une logique plus souterraine : celle d’un besoin d’exister dans le regard de l’autre, comme si la valeur personnelle ne pouvait s’affirmer que dans l’excès, dans le dépassement, dans l’oubli de soi.

Donner plus pour mériter sa place

Travailler plus que nécessaire peut répondre à une exigence interne bien plus ancienne que l’entreprise elle-même. Chez certaines personnes, le fait d’en faire « juste assez » suscite un inconfort, comme si cela ne suffisait pas à légitimer leur présence. Elles se sentent en dette, non pas envers leur employeur, mais envers une instance intériorisée, souvent héritée des premières expériences relationnelles. Ce sentiment de dette affective invisible pousse à faire plus, à ne jamais se reposer, à mériter constamment. La reconnaissance reçue n’annule pas cette dette : elle confirme simplement que l’effort était nécessaire. Le cercle se referme.

Un exemple : Hélène et l’impossibilité de relâcher

Hélène, 40 ans, est cheffe de projet dans une PME. Elle reste régulièrement jusqu’à 20 h, répond aux mails le week-end, prend en charge les urgences même quand ce n’est pas son domaine. « Personne ne me le demande, mais je ne sais pas faire autrement », dit-elle. Lorsqu’elle tente de se limiter, une culpabilité tenace la submerge, comme si elle risquait de décevoir gravement. En thérapie, elle évoque une enfance où elle devait constamment « faciliter la vie » de ses parents surmenés. En faire plus est devenu, pour elle, un mode d’existence : elle ne s’autorise à être là que si elle est utile, discrète et toujours disponible. Travailler au-delà n’est pas une ambition, c’est une condition silencieuse de légitimité.

La dette comme lien invisible

Ce sentiment d’en devoir toujours plus n’est pas fondé sur un contrat explicite, mais sur une dette intérieure, construite dans des environnements où l’amour ou la reconnaissance n’étaient jamais donnés sans contrepartie. Faire des heures supplémentaires devient alors une forme d’amour offert à un système impersonnel, dans l’espoir inconscient de recevoir en retour ce qui a manqué ailleurs. On s’épuise sans jamais se sentir quitte. L’institution n’est pas responsable de cette dette, mais elle devient son théâtre, son prolongement symbolique. Et tant que ce lien invisible n’est pas nommé, il se renforce, alimenté par chaque effort consenti sans limite.

Vers une valeur moins conditionnée

Il ne s’agit pas de bannir l’engagement ou l’investissement, mais de défaire l’idée que la valeur d’un individu dépend du volume de ce qu’il donne. Travailler avec mesure ne signifie pas se désengager. Cela suppose, au contraire, de reconnaître ce qui motive réellement le surengagement, et de permettre au sujet de retrouver un rapport plus apaisé à sa place. C’est dans cette désidentification progressive à la dette que peut émerger un autre rapport au travail, plus libre, plus ajusté, moins sacrifiel. Exister ne devrait jamais dépendre du nombre d’heures qu’on consacre aux autres.

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