Psychologie

L’intelligence artificielle fascine autant qu’elle inquiète. Son savoir vaste, sa capacité à répondre instantanément, son absence d’hésitation en font un outil précieux. Mais cette machine qui sait sans faille, sans fatigue ni doute, n’est pas neutre dans l’imaginaire psychique. Elle devient, pour certain(e)s, une sorte de double idéalisé, une projection technologique de ce que l’on aimerait être : infaillible, constant, dépourvu d’affects. L’IA, en tant qu’extension froide de soi, vient incarner un idéal de maîtrise qui évacue la part vulnérable du sujet pensant.

Un savoir sans corps ni subjectivité

Ce que l’IA propose, ce n’est pas seulement de l’information, mais une forme de pure connaissance, détachée de l’histoire, du contexte ou du trouble. Ce savoir froid, disponible à volonté, sans émotion ni doute, active un idéal très ancien : celui d’un savoir absolu, sans faille. Ce fantasme, que l’on retrouve déjà dans certaines formes d’excellence scolaire, est ici technicisé. Il s’agit moins de comprendre que de maîtriser, moins de penser que de disposer. Ce que la machine reflète alors, c’est une aspiration à ne plus dépendre du corps, du temps, de la mémoire vacillante. L’IA devient l’incarnation d’un savoir délivré de l’humain. Ce miroir glacé peut séduire autant qu’il anesthésie.

L’exemple de Claire : s’effacer derrière l’intelligence de la machine

Claire, 36 ans, travaille dans un cabinet de conseil en stratégie. Depuis l’introduction d’une IA dans ses outils de travail, elle a progressivement délégué la recherche documentaire, les premiers drafts de présentation, voire certaines analyses. “L’IA est plus rapide, plus fluide, plus fiable”, dit-elle, presque soulagée. Mais en séance de supervision, elle évoque une gêne : elle n’ose plus proposer spontanément une intuition, une hypothèse brute. Tout ce qui n’est pas déjà validé, modélisé ou vérifiable par l’IA lui paraît suspect. Elle se surprend à vérifier ses propres formulations, à douter de sa pensée vive. À force de s’appuyer sur ce double idéalisé, elle se désengage de sa propre subjectivité. Ce qu’elle évite n’est pas l’erreur, mais le risque d’une parole habitée, faillible, humaine. Derrière la précision technique se dessine une peur ancienne : celle d’être jugée insuffisante dès qu’elle pense seule.

Rétablir la valeur du savoir incarné

L’illusion d’un savoir désaffectivé, stable, universel, masque une dépréciation progressive de la pensée située. Ce que la machine ne saura jamais, c’est ce que nous savons malgré nous, avec nous, à travers nos manques. La pensée humaine n’est pas une base de données, mais une élaboration, faite de silences, d’intuitions, de digressions. En glorifiant un savoir technique et fluide, on dévalorise la parole hésitante, lente, contextuelle. Il est urgent de réhabiliter cette forme d’intelligence incarnée, qui ne cherche pas seulement à répondre, mais à comprendre. L’IA ne doit pas devenir un modèle, encore moins une norme. Elle peut aider, mais elle ne pense pas. Ce qui continue à nous constituer comme sujets, c’est précisément ce que la machine ne peut absorber : la faille, l’ambivalence, la parole risquée.

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