Psychologie

L’intelligence artificielle est souvent présentée comme un adjuvant, un outil neutre venant soulager les professionnels de tâches répétitives ou techniques. Pourtant, travailler aux côtés d’une IA ne va pas sans générer un trouble plus sourd : celui d’être remplacé, voire de ne plus être nécessaire. Loin d’un simple progrès technologique, l’IA vient bousculer des repères psychiques profonds, en réveillant des peurs de dévalorisation ou d’effacement symbolique.

Quand l’aide devient menace silencieuse

L’IA, dans sa rapidité d’exécution, sa capacité d’apprentissage et son autonomie croissante, renvoie certains professionnels à une angoisse ancienne : celle de ne plus être à la hauteur. Même si elle est pensée comme un outil, elle finit par occuper une place qui questionne la légitimité du sujet humain. Ce n’est plus seulement une assistance : c’est un miroir de ce que l’on pourrait ne plus être. Le savoir-faire humain, autrefois valorisé, devient répliqué, standardisé, absorbé par des algorithmes. Ce glissement technique active une blessure narcissique, en particulier chez celles et ceux qui se sont construits sur leur compétence comme seule source de valeur.

L’exemple de Romain : l’imposture amplifiée par l’algorithme

Romain, 39 ans, travaille dans la rédaction technique. L’arrivée d’une IA générative dans son service l’a d’abord soulagé : elle prenait en charge des rédactions de base, lui laissant plus de temps pour les contenus complexes. Mais rapidement, il s’est mis à douter de sa plus-value. Ce que l’IA produit n’est pas parfait, mais “suffisamment bon”, dit-il, “pour faire le job”. Romain, qui s’est toujours senti un peu en décalage avec son poste, en proie au syndrome de l’imposteur, voit dans l’IA la matérialisation de cette peur : celle d’être démasqué comme remplaçable. Ce n’est pas tant la machine qui l’inquiète que l’effet de loupe qu’elle produit sur sa propre fragilité identitaire.

Une neutralité technologique mise en échec par le psychisme

On voudrait croire que l’outil est neutre, que tout dépend de son usage. Mais cette croyance ne résiste pas à l’expérience vécue. L’IA, même bienveillante dans son design, vient redessiner la carte des places subjectives. Elle crée un trouble dans la différenciation entre ce qui relève de l’expertise humaine et de l’exécution automatisable. Ce trouble est d’autant plus fort que le monde du travail valorise la performance plus que la singularité. Si la machine peut faire vite et bien, à quoi bon continuer à “être” dans ce qu’on fait ? La place symbolique de l’humain devient flottante, instable, questionnée. Le sujet ne se sent plus garant, mais toléré. Présent, mais fragile.

Réinvestir le sens de la présence humaine

L’enjeu n’est pas de rejeter l’IA, mais de reconfigurer la place du sujet dans un environnement où l’efficience n’est plus un monopole humain. Il devient vital de réaffirmer ce qui, dans le travail, ne se mesure pas en output : la capacité de discernement, la responsabilité, la sensibilité aux nuances, à l’éthique, au lien. Ce que l’IA ne peut reproduire, ce n’est pas la performance brute, mais la présence incarnée. Travailler avec une machine ne doit pas amener à se faire oublier, mais à se rendre plus conscient de ce que seule la subjectivité humaine peut encore proposer : du sens, une lecture, une singularité. C’est cette réappropriation du lien entre soi et son travail qui permet de ne pas sombrer dans l’inutilité ressentie.

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