Psychologie

Si le travail indépendant séduit tant, c’est qu’il offre une marge de manœuvre inégalée : choisir ses horaires, ses clients, ses méthodes. Pour beaucoup, cela représente une liberté précieuse. Mais cette quête d’autonomie cache parfois une autre dynamique plus rigide : un besoin profond de tout maîtriser, pour éviter de se confronter à l’incertitude, à l’imprévu, au mouvement spontané de l’autre. Le cadre devient alors une forteresse intérieure : protectrice mais étroite.

Une réponse défensive à l’angoisse de l’imprévisible

Certaines trajectoires professionnelles sont façonnées non par l’élan, mais par la crainte. Loin d’être un choix tranquille, le fait d’être à son compte peut découler d’une intolérance à l’imprévisibilité. L’autre — collègue, supérieur, client — devient une source d’angoisse par sa simple liberté d’agir. En créant un espace de contrôle total, le travail indépendant devient une manière d’éteindre l’inquiétude. Tout ce qui pourrait échapper est encadré : délais, conditions, fréquence des échanges. Ce n’est plus une organisation fonctionnelle, mais une réponse défensive. L’indépendant·e n’organise pas son activité pour gagner en liberté, mais pour neutraliser l’incertitude.

Une rigidité qui rassure… mais qui isole

Ce besoin de tout cadrer peut être vécu comme une force : rigueur, efficacité, fiabilité. Mais il finit par restreindre l’espace de jeu, de surprise, d’altérité. La moindre déviation dans le planning, la moindre demande inattendue, la moindre collaboration imprévue déclenchent une tension disproportionnée. Ce qui est vécu comme du professionnalisme est parfois une tentative d’éviter la perte de contrôle psychique. Derrière cette structure rigide, il y a souvent une peur de se sentir dépassé, de perdre pied, de redevenir vulnérable. L’indépendance devient un rempart contre l’imprévu, mais ce rempart empêche aussi la circulation vivante du lien professionnel et humain.

Exemple : Chloé, 39 ans, perfectionniste mais enfermée

Chloé, 39 ans, est consultante indépendante. Elle maîtrise parfaitement son emploi du temps, ses livrables, ses échanges clients. Mais elle s’effondre intérieurement dès qu’un élément change sans qu’elle l’ait anticipé. En thérapie, elle explore son histoire familiale, marquée par un environnement instable et une mère souvent débordée. Très tôt, elle a pris en charge son propre cadre de vie. Elle comprend que sa posture professionnelle actuelle est une extension de ce fonctionnement ancien : ne rien laisser filer, tout anticiper, pour ne jamais se retrouver prise au dépourvu. Elle commence à expérimenter des marges de souplesse, des espaces d’incertitude, sans qu’ils soient synonymes de chaos. Elle découvre que le contrôle peut céder un peu… sans que tout s’effondre.

Vers un contrôle souple et vivant

Maîtriser son environnement professionnel est un besoin légitime. Mais lorsque ce contrôle devient rigide, il témoigne moins d’une efficacité que d’une peur. L’enjeu n’est pas de tout lâcher, mais d’élargir un peu l’espace intérieur : pour que le lien redevienne possible, que l’imprévu soit tolérable, que la confiance en soi ne dépende plus uniquement de la maîtrise. Être indépendant ne signifie pas vivre dans une bulle étanche. Cela peut devenir un terrain d’apprentissage du mouvement, de la confiance et de la souplesse psychique.

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