La figure de la sorcière : quand le féminin devient menaçant à l’écran

Peu de figures traversent autant de genres cinématographiques que celle de la sorcière. Présence récurrente dans les contes, les films fantastiques, les récits initiatiques ou horrifiques, elle cristallise des peurs profondes. Mais ce qui fascine dans cette image n’est pas seulement sa puissance occulte : c’est sa manière d’incarner un féminin perçu comme inquiétant, transgressif, hors norme. À travers la sorcière, le cinéma donne corps à des angoisses inconscientes liées au féminin non maîtrisable. Derrière les sorts et les grimoires, c’est une peur archaïque du pouvoir féminin qui se rejoue.
Le féminin non contrôlé
La sorcière dérange car elle incarne un féminin échappant aux cadres traditionnels. Elle vit seule, possède un savoir autonome, exerce un pouvoir sur la vie et la mort. Ce portrait active dans l’inconscient collectif une angoisse : celle d’un féminin affranchi de l’ordre patriarcal. Le cinéma amplifie cette peur en mettant en scène des sorcières à la sexualité assumée, au langage propre, aux gestes transgressifs. Le spectateur perçoit ainsi une dimension plus souterraine : l’effroi face à ce qui, dans le féminin, ne se laisse ni contenir ni apaiser.
La sorcière comme double maternel
Mais la sorcière n’est pas qu’une figure d’altérité. Elle constitue souvent un double sombre de la mère. Nourricière ou dévorante, bienveillante ou maléfique, elle met en scène l’ambivalence fondamentale du maternel. Le cinéma joue de cette polarité : sorcière de contes qui attire puis détruit, magicienne bienveillante qui révèle un savoir caché. Le spectateur est ainsi confronté à ses propres fantasmes d’une mère toute-puissante, capable de nourrir ou d’anéantir. En cela, la figure de la sorcière touche une angoisse primitive : celle de dépendre d’un pouvoir féminin qui échappe à toute maîtrise.
La peur du féminin archaïque
Le pouvoir de fascination de la sorcière tient aussi à ce qu’elle réactive des strates profondes du psychisme. Elle incarne le féminin archaïque, lié aux cycles de la nature, à la naissance, à la mort, au chaos. Ce lien à une puissance pré-culturelle fait surgir une peur ancestrale : celle d’un retour au désordre primordial. Le cinéma matérialise cette crainte par des images de corps métamorphosés, de rituels obscurs, de gestes sauvages. Mais en même temps, il offre un espace pour apprivoiser cette part refoulée du féminin, en la reconnaissant plutôt qu’en la niant.
Exemple : Suspiria, la danse et le féminin inquiétant
Dans Suspiria de Luca Guadagnino, l’académie de danse est le théâtre d’un pouvoir sororal occulte. Les maîtresses, figures de sorcières modernes, exercent un pouvoir fascinant et menaçant. Le film joue sur l’ambiguïté du féminin : la danse, art de maîtrise du corps, devient ici vecteur de possession, de transgression, de rituels initiatiques. Le spectateur est happé par cet univers où le féminin ne rassure pas, mais inquiète, sidère, subjugue. À travers cette mise en scène, Suspiria confronte chacun à ses peurs inconscientes face à un pouvoir féminin non domestiqué.
Quand le cinéma interroge nos peurs du féminin
La figure de la sorcière persiste au cinéma parce qu’elle touche une angoisse universelle : celle de ce que le féminin peut receler d’incontrôlable, de sauvage, de menaçant. En lui donnant forme, les films nous offrent la possibilité de confronter cette peur archaïque. Et, peut-être, de mieux accepter que le féminin — comme tout ce qui nous constitue — comporte une part d’ombre qu’il ne s’agit pas d’exclure, mais d’intégrer.