Psychologie

Il y a des fous qui crient, qui gesticulent, qui rient trop fort. Et puis il y a ceux qui voient. Sur scène, la figure du fou ne se limite pas à l’excès ou à la bizarrerie : elle porte une lucidité que les autres ne peuvent pas entendre. Loin d’être un simple marginal ou un comique, l’aliéné incarne une vérité insupportable, refoulée par la collectivité. Il est celui qui traverse les apparences, qui nomme ce qui ne devrait pas se dire, qui fait éclater les faux-semblants. Et c’est peut-être pour cela qu’on le traite de fou : non parce qu’il délire, mais parce qu’il parle trop juste.

Un savoir sans légitimité

Le fou théâtral est souvent en marge du pouvoir, de la famille, de la loi. Il est écarté, non pas parce qu’il ne comprend pas le monde, mais parce qu’il le voit sans filtre, sans les défenses collectives qui organisent le réel social. Il n’a pas de place dans le récit, mais il y intervient comme une dissonance. Dans Le Roi Lear, Woyzeck ou certaines pièces de Bond ou Müller, le fou devient le seul à dire ce que les autres contournent. Son discours peut sembler incohérent, mais il suit une logique souterraine, celle du refoulé. Il ne pense pas de travers : il pense à côté. Et ce décalage devient dévoilement.

Une figure du refoulé collectif

La folie scénique n’est pas une pathologie, mais un lieu symbolique. Le fou incarne ce que la communauté ne veut pas voir : la culpabilité, l’absurde, l’horreur, ou simplement l’impuissance. Il devient le corps parlant de ce que tous veulent taire. Le théâtre l’utilise pour ouvrir une brèche dans la narration dominante, pour déranger. Et cette gêne n’est pas gratuite : elle réveille une part du spectateur que la raison endort. Le fou, dans ce cadre, n’est pas un échec de la normalité : il est un symptôme de sa fausseté. Il n’est pas malade, il est trop lucide.

L’exemple de Luc, frappé par une voix incohérente

Luc, 45 ans, assiste à une mise en scène de Hamlet dans laquelle le fossoyeur parle seul, longtemps, dans un monologue absurde. Au lieu de rire, Luc sent une tension, une fatigue mentale, un malaise. Ce que dit le personnage n’a ni queue ni tête, et pourtant, cela résonne. Il y a là une logique cachée, une rage sourde, un savoir désorganisé mais profond. Luc comprend que cette parole défaite est plus vraie que celle du prince : elle dit la mort sans la dramatiser, le néant sans détour. Et cette vérité nue, sans langage organisé, le bouleverse.

Le théâtre comme lieu d’une vérité inentendable

Ce que la figure du fou permet, c’est d’approcher un réel que la norme empêche d’entendre. Il ne propose pas une alternative, mais une fissure, un vertige, un écart qui trouble. Son discours ne construit rien, mais il démonte. Il ne guide pas, mais il désoriente. Et c’est cette désorientation qui révèle. Le fou n’a pas vocation à guérir, ni à convaincre : il est là pour rappeler que sous le langage commun, il y a un cri. Et que ce cri, parfois, dit plus que toutes les répliques bien construites. Le théâtre, en l’accueillant, fait exister une part inentendable du monde.

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