L’illusion de contrôle : jouer pour tout maîtriser

Certains jeux vidéo fascinent par leur complexité, leur précision, leur logique implacable. Gestion, stratégie, simulation : tout y est réglé, contrôlable, compréhensible. Pour de nombreux joueurs, cet univers constitue une source de plaisir, mais aussi, parfois, un abri. Derrière le goût du détail ou l’amour de la planification peut se cacher un besoin psychique plus profond : celui de tout contrôler, parce qu’on ne supporte plus que la vie nous échappe. Le jeu devient alors un théâtre miniature où l’on compense silencieusement l’impuissance ressentie dans la réalité.
Maîtriser l’univers pour ne pas sentir l’incertitude
Dans un jeu, chaque paramètre peut être anticipé, chaque variable ajustée, chaque événement décrypté. Cette structure fermée, souvent logique, vient rassurer ceux qui se sentent en insécurité dans leur environnement réel. Contrôler un univers virtuel offre une prise symbolique sur un monde intérieur vécu comme chaotique. Cela permet de retrouver une forme de contenance : les émotions débordantes sont remplacées par des systèmes, les relations aléatoires par des mécaniques compréhensibles. Le jeu devient un exutoire rationnel à une angoisse de perte de contrôle.
Répéter pour éviter la surprise
Dans ce type d’usage, le joueur n’explore pas tant le monde virtuel qu’il le verrouille. Il optimise, planifie, calcule. La répétition des mêmes gestes, des mêmes stratégies, vient désamorcer la surprise, perçue comme menaçante. Il ne s’agit plus de jouer, mais de stabiliser une zone mentale, d’éliminer le doute, de rester maître. Ce besoin de maîtrise, s’il devient rigide, peut signaler une difficulté à tolérer le changement ou à vivre l’inattendu. Le jeu devient alors une scénographie défensive, où l’échec est intolérable et la nouveauté perçue comme un danger.
L’exemple de David, 47 ans
David joue chaque soir à un jeu de gestion urbaine complexe. Il passe des heures à calibrer l’économie, prévoir les crises, optimiser la croissance. Il dit y trouver “une paix qu’il n’a jamais connue ailleurs”, une sensation d’ordre et de maîtrise absolue. Dans sa vie professionnelle, David est soumis à une pression permanente, avec des objectifs flous et des décisions imprévisibles. Il ne supporte plus l’aléatoire. Dans le jeu, il crée un monde à sa mesure, où rien ne lui échappe. Ce contrôle l’apaise, mais le rend aussi dépendant : il avoue se sentir nerveux quand il ne peut pas jouer.
Quand le contrôle devient une prison
Chercher à maîtriser son environnement n’est pas pathologique en soi. C’est un besoin humain, légitime face à l’imprévisible. Mais lorsque ce besoin devient exclusif, le contrôle se transforme en carapace rigide qui isole du vivant. Le jeu, alors, ne sert plus à explorer, mais à verrouiller. Il apaise temporairement, mais finit par enfermer. Comprendre ce que l’on tente de maîtriser dans le jeu permet de rouvrir une brèche vers soi : non pour renoncer au contrôle, mais pour en desserrer l’étau.