Psychologie

Face à la perte d’un proche, le besoin de maintenir un lien symbolique avec l’absent se manifeste souvent de façon discrète. Pour certains, ce lien passe par la lecture. Reprendre un livre qu’on partageait, relire des passages aimés par l’autre ou retrouver les mots qui résonnaient entre soi et le défunt devient un geste essentiel. Pourquoi la lecture peut-elle jouer un tel rôle dans le travail de deuil ? Que révèle ce recours aux livres de la fonction psychique de l’objet transitionnel en période de perte ?

Le livre comme prolongement du lien

Dans le vide laissé par l’autre, le livre agit comme un prolongement tangible et symbolique de la relation. Il contient une part du lien perdu : les discussions partagées autour d’une œuvre, les annotations laissées, le souvenir d’un moment de lecture commune. En reprenant ce livre, on ravive ce tissu invisible. Ce geste permet de maintenir une forme de présence de l’autre, de réanimer un dialogue interrompu. Le livre devient ainsi un objet transitionnel, support de l’investissement affectif déplacé.

Un espace psychique pour traverser l’absence

Lire pour garder le lien n’est pas une simple nostalgie : c’est une modalité de travail psychique face à la perte. Le livre offre un espace intermédiaire où l’absent peut être évoqué sans confrontation brutale avec le vide. Tourner les pages, relire les mots familiers, c’est s’autoriser à entrer dans un mouvement de deuil progressif, à apprivoiser l’absence. Le texte sert de contenant symbolique pour les affects liés au disparu, facilitant leur élaboration.

Exemple : relire pour entendre encore sa voix

Myriam, 39 ans, relit souvent les poèmes de René Char, qu’elle avait l’habitude de lire avec son père. Elle explique que ces lectures sont devenues un moyen d’entendre encore la voix intérieure de celui qui n’est plus là. Les vers lus à voix basse réactivent l’écho de ces moments partagés. Le livre n’est pas qu’un objet, il est devenu le vecteur d’une présence symbolique. Ce geste de lecture, réitéré, l’aide à traverser l’absence, en maintenant un fil ténu avec la mémoire vivante du lien perdu.

Le livre comme support d’une réintégration psychique

Dans ce processus, le livre aide à réintégrer l’objet perdu dans le monde interne. Ce qui ne peut plus exister à l’extérieur trouve une place symbolique dans l’espace psychique. Lire devient alors un acte de transformation silencieuse : il permet au sujet de métaboliser la perte, de faire évoluer la relation au défunt en un lien intériorisé. Le livre transitionne de l’objet partagé à un espace de mémoire active et vivante.

Accueillir ces lectures comme des passages

Il est précieux de reconnaître ces lectures de deuil pour ce qu’elles sont : des passages nécessaires dans le travail psychique de séparation. Loin d’être un simple attachement passéiste, elles participent à l’élaboration d’une nouvelle forme de lien, plus intériorisée. Le livre accompagne ce mouvement : il permet au sujet de ne pas sombrer dans le vide, en soutenant symboliquement l’effort de réappropriation de la perte. Par ce biais, la lecture devient un geste discret mais profondément vital dans l’expérience du deuil.

Trouver un psy