Psychologie

Changer d’avatar à chaque jeu, créer plusieurs comptes, incarner des figures très différentes selon les univers : certains joueurs semblent traversés par une instabilité volontaire. Là où d’autres s’identifient durablement à un seul personnage, ces joueurs-là multiplient les rôles, changent de nom, de genre, d’apparence et parfois même de personnalité. Ce besoin de fragmentation virtuelle ne relève pas seulement du plaisir de la diversité ou du jeu de rôle assumé. Il peut signaler une difficulté plus profonde à habiter une identité stable, cohérente, et à se sentir suffisamment unifié dans le monde réel.

L’avatar comme tentative d’unification

Multiplier les avatars peut être une façon de chercher une cohérence psychique introuvable ailleurs. Chaque personnage devient un fragment, une tentative de fixer un aspect de soi, d’en faire un point d’ancrage. Ce morcellement numérique offre une illusion de maîtrise : plutôt que de ressentir sa propre confusion intérieure, on la déplace dans des corps différents, chacun porteur d’un ton, d’un style, d’une posture. L’univers numérique permet ainsi de donner forme à une identité mouvante, de la distribuer entre plusieurs figures plutôt que de l’assumer dans sa complexité. Cela soulage temporairement, mais ne résout pas le fond.

Une parade contre le sentiment d’inexistence

Derrière cette pluralité peut aussi se cacher une angoisse plus sourde : celle de ne pas exister sans regard, sans interaction, sans rôle défini. Créer plusieurs avatars revient alors à s’assurer d’être visible, d’avoir une place, même artificielle. Chacun d’eux devient un masque possible, un mode d’accès au lien, une réponse à une crainte ancienne d’effacement. Le jeu devient ainsi un théâtre permanent de réassurance narcissique, où la multiplication des figures compense l’impossibilité de se sentir un dans la réalité. C’est une logique de dispersion protectrice.

L’exemple de Lætitia, 35 ans

Lætitia joue à plusieurs jeux de rôles en ligne depuis plus de dix ans. Elle a compté jusqu’à vingt avatars actifs sur différentes plateformes, tous très distincts : une guerrière brutale, un soigneur compatissant, un androgyne muet, un personnage comique et lâche. Elle dit que chacun “prend la parole selon les moments”, comme si sa vie émotionnelle se fragmentait entre eux. Elle n’a jamais réussi à tenir un seul personnage trop longtemps : elle finit par s’en lasser ou s’y sentir étrangère. En thérapie, elle a commencé à relier cette instabilité à un passé familial marqué par l’imprévisibilité, où elle devait sans cesse s’adapter, changer de rôle, se reconstruire.

La pluralité comme signal, pas comme solution

Jouer plusieurs rôles peut être créatif, stimulant, enrichissant. Le problème surgit lorsque cette pluralité devient un mode de fonctionnement par défaut, une nécessité pour survivre psychiquement. À travers la multiplication des avatars, c’est parfois un appel inconscient qui se fait entendre : celui d’un moi en recherche d’unité. Le monde virtuel ne crée pas cette faille identitaire, mais il la rend visible, la rend jouable, parfois même soutenable. Reste à savoir si l’on peut un jour rassembler ces fragments en un récit plus habitable.

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