Ne jamais s’opposer à son chef : une peur de perdre l’amour du dominant ?

Certaines personnes ne contestent jamais leur supérieur. Elles acquiescent, s’adaptent, cherchent à comprendre, même lorsque les décisions semblent discutables. Cette attitude peut être interprétée comme une preuve de loyauté, de souplesse, voire d’intelligence relationnelle. Mais chez d’autres, elle trahit une peur plus profonde : celle de perdre une place privilégiée dans le regard du chef, d’être exclue du lien, abandonnée ou invisibilisée si un désaccord venait à troubler l’équilibre. L’adhésion devient alors une stratégie affective d’attachement, bien plus qu’un choix professionnel.
Une soumission affective déguisée
Dans ces cas, le chef ne représente pas seulement une autorité fonctionnelle, mais une figure d’étayage narcissique, dont la reconnaissance est vitale. Le moindre signe de distance est perçu comme un danger, une possible rupture du lien. La personne, souvent sans s’en rendre compte, fait tout pour maintenir une forme d’accord, quitte à renier ses propres intuitions ou désirs. Elle préfère rester du côté de l’amour supposé, quitte à se taire, plutôt que de risquer la désapprobation ou la mise à l’écart. La relation hiérarchique devient alors le lieu d’une quête silencieuse de sécurité affective.
Exemple : Julie, toujours d’accord
Julie, 34 ans, est responsable de projet dans une agence événementielle. Son chef l’apprécie, la consulte souvent, lui confie des dossiers sensibles. Elle se montre loyale, présente, toujours disponible. Lorsqu’une collègue émet une critique sur une décision de la direction, Julie prend aussitôt la défense du supérieur, même si, au fond, elle partageait les doutes. En thérapie, elle parle d’une mère distante, mais d’un père très présent, exigeant, dont elle était “la préférée”. Elle a appris à rester dans le bon regard, à mériter l’attention en étant irréprochable, jamais conflictuelle. Face à l’autorité, son enjeu n’est pas la justice, mais la conservation du lien.
Une parole inhibée
Ce type de fonctionnement a un coût : la personne inhibe sa pensée, étouffe ses désaccords, et se construit dans une forme de dépendance silencieuse. Elle perd la capacité à se positionner, à habiter une parole différenciée. Le lien au chef devient une zone figée, où le conflit est perçu comme une catastrophe possible. Cette peur n’est pas toujours consciente : elle s’exprime par une hyperadaptation, une surjustification, une vigilance affective permanente. L’adhésion n’est plus un acte professionnel libre, mais un mécanisme de survie psychique.
Dire non sans perdre sa place
Sortir de cette dynamique suppose de repérer ce qui, dans le lien au chef, dépasse le cadre du travail. Il s’agit de déconstruire l’idée que toute opposition mettrait fin à la relation, et d’apprendre à tolérer l’existence de désaccords sans qu’ils soient vécus comme une trahison. Ce mouvement permet à la parole de reprendre sa place, et au lien hiérarchique de devenir un espace adulte, non conditionné par l’adhésion affective. Ce n’est qu’en posant ses limites qu’on peut vérifier que l’on tient encore debout, et que l’amour du dominant n’est peut-être pas la seule source de légitimité.