Ne pas trouver sa voie : symptôme ou refus de se singulariser ?

À une époque où l’on valorise la réalisation de soi à travers le travail, ne pas « trouver sa voie » peut être vécu comme un échec personnel, voire comme une anomalie. Pourtant, l’instabilité professionnelle persistante n’est pas toujours le signe d’un manque de volonté ou d’un simple défaut d’orientation. Elle peut traduire une résistance plus profonde à la singularisation, comme si affirmer un chemin revenait à rompre un pacte invisible avec l’histoire familiale ou l’ordre affectif préexistant. Dans certains cas, l’indécision professionnelle n’est pas tant le fruit d’un tâtonnement que le symptôme d’un empêchement psychique à se poser quelque part, à se différencier.
Une peur de choisir plus qu’un manque d’idées
Choisir sa voie suppose de renoncer à d’autres possibles, de se séparer symboliquement d’un milieu ou de figures de référence. Or, certaines subjectivités préfèrent rester dans l’entre-deux, là où l’indécision protège du conflit de loyauté. Ne pas s’engager permet d’éviter la culpabilité de se détacher, ou la peur de réussir là où les autres ont échoué. Ce refus de trancher peut aussi préserver une forme d’appartenance flottante, un lien diffus mais rassurant au passé. Le symptôme d’errance se nourrit alors d’une tension entre le désir d’avancer et l’impossibilité inconsciente d’affirmer une identité propre.
Exemple : Léa, 32 ans, toujours en transition
Léa a enchaîné les stages, les formations, les contrats courts, sans jamais rester plus d’un an au même poste. Diplômée en sciences humaines, elle a touché à l’enseignement, au journalisme, à la médiation culturelle, mais toujours avec le sentiment que « ce n’était pas tout à fait ça ». Aujourd’hui, elle dit ne plus savoir ce qu’elle veut. En séance, elle évoque une mère qui s’est longtemps sacrifiée pour sa famille, et un frère brillant qui a rapidement tracé sa route. Léa craint de se singulariser, comme si elle risquait de trahir un équilibre familial basé sur la retenue, la discrétion, voire l’effacement. Ne pas se fixer lui permet, malgré la frustration, de rester dans une forme de fidélité implicite.
L’indécision comme défense contre la séparation
Il est tentant d’interpréter cette errance comme un défaut de confiance ou de constance. Mais elle peut être aussi une forme déguisée de loyauté, un refus d’exister autrement qu’à travers le regard des autres. L’individuation véritable implique une séparation, parfois douloureuse, d’avec ce qui nous a constitués. Certains évitent cette rupture en restant dans l’indéfini, l’inabouti. Mettre des mots sur cette peur de la différenciation, en reconnaître les racines affectives, permet parfois de libérer un désir plus personnel. Trouver sa voie ne se résume alors pas à un choix de métier, mais à une autorisation intérieure de devenir soi.
Une voie vivante plutôt qu’un projet parfait
Ceux qui peinent à « trouver leur voie » sont parfois enfermés dans une exigence inconsciente : celle d’un projet parfait, indiscutable, qui légitimerait leur existence une fois pour toutes. Cette attente bloque le mouvement. Il faut parfois accepter de s’engager imparfaitement pour que quelque chose de vivant advienne, quitte à réajuster plus tard. La voie n’existe pas toujours au départ, elle se construit en marchant, à condition de s’autoriser à devenir quelqu’un, même au risque de déplaire ou de se tromper.