Travail en open space : dilution du moi ou aspiration à la fusion sociale ?

L’open space s’est imposé comme un standard dans les environnements de travail modernes. Présenté comme un espace stimulant la coopération, il repose sur un idéal de transparence et d’horizontalité. Pourtant, derrière cette promesse d’ouverture se dissimule souvent une tension plus profonde. La suppression des cloisons physiques met à l’épreuve la frontière psychique de chacun, exposant les individus à une forme de perméabilité forcée où le besoin de protection se heurte à l’idéal collectif de fluidité.
L’épreuve des frontières
L’espace ouvert impose une proximité constante avec les autres, sans possibilité de retrait. Dans cet environnement, la distinction entre le dedans et le dehors devient floue, forçant le sujet à redéfinir ses limites internes. Cette exposition continue peut engendrer une hypervigilance, où chaque bruit, mouvement ou regard devient un stimulus difficile à filtrer. La frontière entre soi et l’autre, déjà souvent fragile dans la vie psychique, se trouve ici continuellement sollicitée, créant une fatigue invisible mais persistante.
La fusion comme défense
L’idéal de collaboration porté par l’open space peut parfois servir de couverture à une angoisse plus archaïque : celle de la séparation. Certains s’y sentent rassurés, comme fondus dans un groupe où le sentiment d’unité remplace l’effort d’individuation. L’open space devient alors le théâtre d’un fantasme de fusion protectrice, où la présence des autres agit comme un contenant silencieux. Mais cette illusion a un prix : celui d’un effacement progressif du moi, qui ne peut plus se replier, rêver, ou simplement se tenir à l’écart sans transgresser une norme implicite.
L’exemple de Claire : se fondre pour ne pas sentir
Claire, 28 ans, travaille dans une agence de communication depuis trois ans. Au début, l’open space lui semblait vivant, rassurant. Elle y voyait une forme d’inclusion immédiate, qui la protégeait de son sentiment de solitude. Mais avec le temps, elle remarque une perte de repères : elle ne parvient plus à se concentrer, se sent vite envahie, et évite même de penser à voix haute. Elle ne sait plus très bien ce qui lui appartient. Comme si sa pensée, exposée en permanence au groupe, s’était peu à peu dissoute dans l’ambiance collective.
Retrouver une chambre intérieure
Face à l’open space, chacun tente de se constituer un espace psychique de repli : casque sur les oreilles, regard fuyant, rituel de pause solitaire. Ces micro-gestes ne sont pas anodins : ils signalent un besoin vital de réaffirmer une intériorité. Car sans espace symbolique pour se retrouver, le sujet risque de se perdre dans une fusion passive avec l’environnement. Travailler dans un lieu collectif ne devrait pas exclure la possibilité d’un dedans à soi. C’est dans cette tension entre ouverture et frontière que peut se jouer, non pas une dilution du moi, mais une forme d’appartenance respectueuse de la singularité.