Multiplier les projets pour ne pas sentir l’angoisse

Certaines personnes semblent avancer sans relâche, enchaînant les projets, les engagements, les initiatives. À l’extérieur, cela donne l’image d’une vie pleine, animée, fertile. Mais à y regarder de plus près, cette agitation peut cacher un malaise plus profond. Il ne s’agit pas de simples ambitions ou d’un appétit sincère pour le mouvement : ce besoin de faire, d’occuper chaque moment, peut être une stratégie d’évitement. Derrière cette intensité apparente, une peur plus sourde est à l’œuvre, celle du vide intérieur. Le silence, l’absence de sollicitations, l’espace libre deviennent insupportables. Alors on relance sans cesse une nouvelle dynamique, parfois sans joie, souvent sans conscience. Ce n’est pas la vie qui appelle, c’est l’angoisse qui pousse.
La suractivité comme protection contre un vide intérieur
À première vue, ces existences paraissent admirables : chaque semaine apporte son lot de défis, d’initiatives et de responsabilités. Pourtant, cette dynamique effrénée n’est pas toujours portée par un véritable désir. Elle peut être le symptôme silencieux d’une peur plus profonde : celle de se retrouver face à soi-même. Ne pas s’arrêter, ne pas ralentir, c’est souvent éviter de confronter un sentiment d’inconsistance ou d’inutilité qui pourrait surgir dans le silence. Derrière cette hyperproductivité se loge une angoisse muette, un vertige existentiel qui guette dès que l’on se retire du flux.
Fuite en avant ou impossibilité de s’habiter
Le problème ne réside pas tant dans le fait d’avoir de multiples projets que dans l’impossibilité de supporter le vide entre eux. Pour certaines personnes, ne rien faire, c’est être en danger. Comme si l’immobilité réveillait un effondrement psychique latent, trop longtemps contenu. Chaque nouveau projet devient alors un rempart contre le sentiment de vacuité, mais aussi une manière d’éviter des questions essentielles : Qui suis-je sans cela ? Que reste-t-il si je m’arrête ? La fuite en avant devient une défense narcissique, parfois socialement valorisée, mais profondément fragile dans sa structure.
Un exemple : Sarah, toujours en mouvement
Sarah, 39 ans, est consultante indépendante. En parallèle de son activité principale, elle s’investit dans deux associations, suit une formation longue, et participe à plusieurs cercles de réflexion. Elle a toujours un projet à lancer, un déplacement à organiser, une rencontre à caler. « Si je m’arrête, je m’effondre », lâche-t-elle un jour à demi-mot, comme si cette phrase l’avait surprise elle-même. Lorsqu’un accident de vélo la contraint à deux mois de repos, le rythme s’interrompt brutalement. Ce qu’elle pensait être de la vitalité s’efface, laissant place à une sensation de vide abyssal, faite d’irritabilité, de mélancolie et de confusion. Au fil des jours, elle prend conscience qu’elle n’a jamais appris à rester avec elle-même sans se prouver qu’elle était utile. Sa suractivité avait toujours été une fuite. Cette période forcée, douloureuse mais éclairante, lui ouvre une autre voie : celle d’un rapport moins défensif à l’élan et au repos.
Vers une autre forme de présence à soi
La clé ne réside pas dans l’abandon de tout projet, mais dans la possibilité de choisir plutôt que de s’agiter. Il s’agit de faire une place au silence, au retrait, non comme une menace mais comme une forme de présence pleine. Accepter par moments de ne pas produire, de ne pas remplir, c’est autoriser l’émergence d’un autre rapport à soi, plus profond, plus stable. Cela suppose parfois un accompagnement, car l’angoisse qui se manifeste à l’arrêt n’est pas anodine. Elle peut être le signe d’un traumatisme ancien ou d’un déficit de sécurité intérieure. Mais c’est aussi une porte d’entrée vers une transformation intime.