Rester dans une position intermédiaire : confort sécure ou peur de trancher ?

Certaines personnes semblent faites pour occuper des postes d’interface. Ni tout à fait en haut, ni vraiment à la base, elles assurent la jonction entre les étages d’une organisation. Cette position intermédiaire est souvent perçue comme stratégique : assez proche du terrain pour rester connectée, assez impliquée dans la décision pour être reconnue. Mais dans certains cas, ce choix n’est pas simplement pragmatique : il reflète une position psychique profondément ambivalente à l’égard de l’autorité et du pouvoir. L’entre-deux devient un refuge, une manière d’être présent sans jamais devoir assumer la pleine responsabilité d’un choix tranché.
Le refus silencieux de la verticalité
Assumer une fonction haute, prendre la responsabilité de décisions, incarner une direction, peut activer des peurs anciennes : celle d’être exposée, isolée, de porter la faute en cas d’échec. À l’inverse, la position intermédiaire offre un espace de mouvement et d’évitement, où l’on peut composer, relayer, nuancer sans avoir à se situer de façon claire et définitive. Ce flou relationnel permet de rester en lien avec toutes les strates, sans entrer dans la conflictualité ouverte. Mais il révèle aussi une difficulté à occuper pleinement une place, à endosser un rôle sans se dissoudre dans les autres.
Exemple : Julie, à l’aise entre deux eaux
Julie, 37 ans, est coordinatrice dans une ONG. Elle ne souhaite ni diriger une équipe ni revenir à un poste purement opérationnel. Elle dit qu’elle aime “faire le lien”, “faciliter les échanges”, “traduire les attentes”. Mais lorsqu’elle est sollicitée pour trancher un arbitrage ou prendre une décision conflictuelle, elle tergiverse ou délègue. En thérapie, elle évoque une enfance entre deux parents séparés, qu’elle devait constamment réconcilier. Julie a appris très tôt à occuper une place médiane, pour éviter de devoir choisir un camp. Cette posture, prolongée dans le travail, lui permet de maintenir la paix, mais l’empêche d’exister comme sujet à part entière.
L’illusion d’une neutralité sécurisante
Être “au milieu” donne l’impression d’échapper aux tensions du pouvoir. Mais cette neutralité n’est jamais absolue : elle implique un coût en clarté, en autorité, en stabilité identitaire. Le refus de trancher peut fragiliser la position occupée, créer de la confusion autour de soi, ou générer une frustration silencieuse. Le sujet, en se tenant dans l’ombre des décisions, échappe au jugement explicite, mais se prive aussi de la possibilité d’exister dans l’affirmation. À force d’aménager les points de vue, il devient difficile de reconnaître le sien.
Oser se positionner
Sortir de cette posture ne signifie pas monter dans la hiérarchie, mais accepter de se risquer à la conflictualité, de prendre une place visible et différenciée. Cela suppose de travailler l’angoisse de déplaire, d’assumer des choix qui ne seront pas toujours consensuels. Trancher, c’est renoncer à plaire à tout le monde, mais c’est aussi commencer à exister pour soi. Ce déplacement intérieur permet de ne plus dépendre de la place moyenne pour se sentir légitime, et d’envisager le lien non plus comme une protection, mais comme un espace de circulation entre des positions assumées.