Psychologie

Dans certains jeux coopératifs, les joueurs ne font plus seulement équipe : ils se confondent, se répondent, s’imitent presque inconsciemment. Ils prennent les mêmes décisions, se déplacent ensemble, finissent par anticiper l’un les gestes de l’autre. Cette synchronie peut sembler fluide et réjouissante, mais elle révèle parfois une dynamique psychique plus complexe : une forme d’identification ou de fusion, là où le lien devient le miroir d’un besoin plus profond.

Quand le lien absorbe le moi

Dans les relations de jeu fusionnelles, les frontières entre soi et l’autre deviennent floues. On agit pour l’autre, avec l’autre, presque à sa place. Le plaisir de cette unité masque souvent une difficulté à rester distinct sans se sentir abandonné. Le coéquipier devient alors un support identitaire silencieux : en étant toujours collé à lui, on s’efface pour exister. Ce paradoxe trahit une peur de séparation ou d’individualité, déplacée dans l’univers virtuel.

Le double comme refuge ou comme menace

S’identifier à l’autre dans le jeu peut être rassurant : on pense pareil, on agit en écho, on se comprend sans parler. Mais cette complémentarité apparente cache parfois un rapport d’emprise douce ou de dépendance. Plus l’autre agit, plus on se sent autorisé à suivre – ou obligé de le faire. Dans ce cadre, le double n’est plus un allié mais un substitut d’identité. Il devient dangereux de se différencier, de rompre la symétrie. Le jeu ne renforce plus le lien : il l’absorbe.

L’exemple de Thomas, 30 ans

Thomas joue depuis deux ans avec le même coéquipier à un jeu de survie multijoueur. Ils se connectent aux mêmes heures, prennent toujours les mêmes rôles, anticipent les mouvements de l’autre. Thomas explique qu’il se “sent mieux avec lui qu’avec quiconque”, mais qu’il “ne sait plus trop ce qu’il aime jouer seul”. Dans la vie, Thomas a souvent fonctionné par adaptation. Il a grandi dans un cadre familial où l’harmonie reposait sur le fait de ne pas faire de vagues. Le jeu reproduit ce schéma : il fusionne pour rester contenu, pour éviter la solitude, mais au prix d’un effacement progressif.

Fusion défensive ou perte de repères

L’identification à un autre joueur peut être un moyen de se sécuriser, de construire du lien là où il a manqué. Mais lorsque cette identification devient rigide, elle empêche la différenciation. Le plaisir du jeu collectif se transforme en dépendance silencieuse. Chaque mouvement devient une tentative d’être en phase, plutôt qu’une expression libre de soi. Ce mécanisme peut masquer une fragilité narcissique : peur d’exister seul, difficulté à soutenir une pensée autonome. Sortir de cette fusion ne revient pas à rompre le lien, mais à lui redonner du souffle.

Retrouver sa propre trajectoire

Le jeu peut aussi permettre de tester cette différenciation en douceur : jouer séparément, tenter d’autres alliances, choisir d’autres rôles. Retrouver une marge d’action personnelle, même légère, peut réactiver un sentiment d’existence plus stable. L’autre reste présent, mais il n’est plus le repère exclusif. La coopération devient un espace vivant, et non un lieu de repli. Comprendre que la fusion dans le jeu répond parfois à une peur plus ancienne ouvre la possibilité d’un lien plus libre, plus adulte, plus respirant.

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