Quand le jeu vidéo apaise une colère ancienne

Jouer est souvent perçu comme une activité légère, déconnectée des affects profonds. Pourtant, pour certains joueurs, le jeu vidéo remplit une fonction bien plus intime : il sert à contenir, détourner ou neutraliser une colère ancienne. Non exprimée dans la vie réelle, cette colère trouve dans l’univers vidéoludique un exutoire symbolique. Le joueur frappe, combat, gagne ou écrase, non par goût de la violence, mais pour ne pas exploser ailleurs. Ce déplacement psychique, s’il n’est pas conscientisé, peut devenir un rituel silencieux de régulation émotionnelle.
Une colère difficile à nommer
La colère ancienne est souvent refoulée, transformée en silence ou en retrait. Elle ne s’exprime pas directement, mais agit en sourdine, rendant les relations tendues ou les frustrations intolérables. Dans le jeu, cette colère peut enfin circuler, se mettre en mouvement, sans craindre de tout détruire autour de soi. Le joueur attaque, se défend, résiste : autant d’actes qui parlent à sa place, sans avoir besoin de mots. Ce soulagement, même temporaire, peut avoir un effet stabilisant, presque thérapeutique.
Une violence canalisée par le cadre
La particularité du jeu vidéo, c’est qu’il autorise une forme de violence encadrée, balisée, scénarisée. On y tape, on y tue parfois, mais dans un monde où cela ne fait pas de mal réel. Cette règle tacite permet d’exprimer une agressivité interdite ailleurs, de manière symbolique. Le joueur se sent vivant, actif, victorieux. Mais il se sent aussi en sécurité : tout est contenu, rien ne déborde vraiment. Ce cadre permet de faire l’expérience de sa propre intensité, sans effrayer ni soi-même ni les autres.
L’exemple de Julie, 34 ans
Julie joue presque exclusivement à des jeux de combat et de stratégie. Elle apprécie les personnages féminins forts, redoutables, parfois brutaux. Elle dit qu’en jouant, elle ressent un “soulagement qui n’a pas de mots”, une tension qui descend. Dans sa vie, Julie est calme, contenue, toujours mesurée. Elle ne se souvient pas s’être vraiment mise en colère. Mais son parcours est marqué par un père autoritaire et une adolescence sous pression. Le jeu lui offre une scène où cette rage tue peut enfin bouger, même sans parole.
Entre gestion affective et évitement
Exprimer une colère ancienne par le jeu peut être une forme d’auto-régulation, une manière intelligente d’éviter l’agressivité réelle. Mais si le jeu devient le seul lieu où l’on autorise sa colère, il finit par figer ce déplacement sans jamais le symboliser. Le joueur se calme, mais ne comprend pas ce qui le traverse. Il s’apaise sans s’expliquer. Revenir à cette colère, dans sa vérité première, permettrait peut-être non seulement de la dire, mais aussi de la transformer autrement qu’en performance ou en score.