Psychologie

Le jeu vidéo est souvent présenté comme une échappatoire, une parenthèse, un terrain d’expérimentation. Mais dans certains cas, il devient plus qu’un refuge : une véritable armure contre le réel. À travers les mécanismes de contrôle, de répétition, d’identification à un personnage puissant ou invulnérable, le joueur peut progressivement se construire un espace mental blindé, à l’abri des agressions du monde extérieur. Ce n’est alors plus le plaisir qui guide le jeu, mais une fonction défensive, protectrice, parfois inconsciente, qui vise à neutraliser l’imprévu, la douleur ou l’incertitude.

Contrôler l’univers pour survivre à l’imprévisible

Le réel confronte à l’incertitude : émotions mal contenues, relations imprévisibles, corps vulnérable. Le jeu, à l’inverse, propose un monde réglé, codifié, où chaque geste a une conséquence claire, où les erreurs peuvent être réparées. Ce besoin de contrôle peut devenir central chez ceux qui se sentent débordés dans la vie quotidienne. L’univers vidéoludique devient alors un espace hermétique, où l’on est seul maître à bord, invincible, et parfois omniscient. Derrière cette toute-puissance se cache bien souvent une difficulté à supporter la dépendance affective, les aléas du lien ou la confrontation à sa propre impuissance.

Une armure contre la relation

Dans la logique du jeu défensif, l’avatar devient un masque, un filtre entre soi et les autres. Le lien social, quand il existe en ligne, est médié, distant, maîtrisé. On évite les regards directs, les émotions trop vives, les silences qui exposent. Le joueur peut choisir d’interagir uniquement selon ses propres règles, de disparaître quand il le souhaite, de ne pas être vulnérable. Cette distance émotionnelle agit comme une protection, mais aussi comme une fermeture. Le jeu n’est plus un lieu d’ouverture à soi, mais un bastion d’évitement où l’on se retranche pour ne pas être touché.

L’exemple de Jérôme, 45 ans

Jérôme travaille dans le secteur hospitalier et vit seul depuis sa séparation. Il joue chaque soir à un jeu de tir en ligne, où il incarne un personnage tactique, précis, silencieux. Il dit apprécier “le calme dans le chaos”, et “le fait de savoir toujours quoi faire”. Dans la vie, il se sent dépassé, épuisé émotionnellement, incapable de dire ce qu’il ressent. Le jeu devient pour lui une interface entre lui et le monde, une zone tampon où il peut exister sans exposition. À travers son personnage, il se sent compétent, utile, protégé. Mais il admet aussi que lorsqu’il arrête de jouer, “tout revient d’un coup”.

Un abri légitime, mais à interroger

Utiliser le jeu comme protection n’est pas en soi pathologique. Il peut être un contenant psychique temporaire, une manière de se maintenir à flot dans des périodes trop dures. Mais lorsqu’il devient la seule manière d’habiter le monde, il finit par couper plus qu’il ne protège. L’armure, à force de rigidité, empêche les mouvements internes, l’expression émotionnelle, et parfois même le simple fait de sentir. Il ne s’agit pas de renoncer au jeu, mais d’interroger ce qu’il remplace, ce qu’il endort, et ce qu’il empêche encore d’émerger.

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