Quand l’évaluation permanente détruit la confiance en soi

Tableaux de bord, bilans individuels, objectifs chiffrés, feed-back à répétition : l’évaluation est devenue omniprésente dans le monde du travail. Présentée comme un levier de progrès, elle est censée dynamiser, orienter, encourager. Mais lorsqu’elle devient continue, implicite, ou intrusive, elle sape discrètement la confiance en soi, et fragilise l’estime personnelle.
Être vu sans être reconnu
L’évaluation permanente donne l’illusion d’un intérêt porté à chacun. En réalité, elle repose souvent sur des indicateurs mécaniques, extérieurs à la personne. Ce n’est pas ce que l’on est qui est regardé, mais ce que l’on produit, et dans quels délais. La subjectivité s’efface au profit du mesurable. Ce regard fragmenté, calibré, finit par induire un doute : est-ce que ce que je fais vaut quelque chose, ou seulement ce qui est visible ? Peu à peu, l’individu intériorise cette perspective, et se juge à l’aune de critères extérieurs qui ne disent rien de lui.
La perte de sens dans la sur-mesure
Être évalué en continu installe une tension de fond : chaque action devient un acte exposé. L’anticipation du jugement bloque l’élan, pousse à la prudence, limite l’expérimentation. On agit pour ne pas déplaire, pour “être bon”, pour éviter le commentaire. Cette logique modifie insidieusement le rapport au travail. Ce n’est plus un espace de transformation, mais une scène de conformité. À long terme, cela érode la motivation, le plaisir, et parfois même le sens de la compétence.
L’exemple de Maxime, 42 ans
Dans son poste de responsable commercial, Maxime était évalué chaque semaine. Objectifs atteints, progression, axes d’amélioration. Il avait pris l’habitude d’anticiper les remarques, de lisser ses rapports, de se justifier en permanence. Il ne se sentait jamais tranquille, même quand les résultats étaient bons. Ce n’est qu’à la suite d’un congé paternité qu’il a pris du recul. À son retour, l’écart entre ce qu’il vivait et ce qu’il devait afficher lui est apparu insupportable. Il a demandé un changement de poste, avec moins de reporting et davantage d’autonomie. Il raconte aujourd’hui avoir redécouvert le sentiment de faire les choses “de l’intérieur”.
Une intériorisation du regard extérieur
L’effet le plus insidieux de l’évaluation constante est l’installation d’un regard tiers à l’intérieur de soi. Même sans être observé, on se juge, on s’auto-note, on corrige. Le sujet devient à la fois acteur et évaluateur de ses propres gestes. Cela produit une auto-censure, une perte de spontanéité, une inquiétude diffuse. Cette surveillance intériorisée peut devenir épuisante, surtout chez les personnes très investies ou perfectionnistes.
Retrouver une évaluation vivante
Il ne s’agit pas de rejeter toute forme d’évaluation, mais de réhabiliter un autre regard sur la compétence : plus global, plus humain, plus lent. Cela suppose de repenser ce que l’on valorise, et comment on le formule. L’estime de soi ne se construit pas sous pression, mais dans la reconnaissance sincère, la possibilité d’échec, le droit à l’approximation. C’est dans ces interstices que la confiance peut se reconstruire, loin de la mesure constante et des chiffres sans âme.