Refuser toute hiérarchie : entre idéal égalitaire et peur d’être dominé

Certains rejettent systématiquement toute forme de hiérarchie, y voyant une oppression à dénoncer ou une structure obsolète à déconstruire. Mais cette posture radicale, lorsqu’elle devient réflexe, peut aussi révéler une défense psychique contre des figures d’autorité précocement vécues comme menaçantes. Et si derrière l’idéologie se cachait une peur non digérée d’être à nouveau soumis à un pouvoir intrusif ?
Une posture égalitaire… trop rigide pour être neutre
Le refus de la hiérarchie peut relever d’un engagement politique sincère. Mais lorsqu’il devient rigide, globalisant, et chargé affectivement, il trahit souvent une difficulté à se positionner dans des rapports d’asymétrie. Ce n’est plus seulement la hiérarchie qui est remise en cause, mais toute situation impliquant autorité, transmission, ou responsabilité différenciée. Derrière ce rejet, on retrouve souvent des vécus précoces où l’autorité a été vécue comme arbitraire, humiliante ou imprévisible, laissant un sentiment d’impuissance durable face à la domination.
La domination intériorisée comme menace constante
Pour certains, être placé en position « inférieure » réactive une mémoire inconsciente d’écrasement, souvent liée à un parent autoritaire ou à un contexte éducatif rigide. Plutôt que de risquer de revivre cette position douloureuse, ils préfèrent saboter tout rapport hiérarchique avant même qu’il ne se structure. Ce mécanisme agit comme une défense anticipatoire : ne reconnaître aucune autorité permet d’éviter toute reconstitution d’une scène psychique traumatique. Mais cette protection a un coût : elle empêche toute intégration apaisée des figures différenciées dans les relations.
L’exemple de Julien : une égalité défensive
Julien, 33 ans, graphiste freelance, refuse toute forme d’organisation verticale, que ce soit dans ses collaborations ou dans ses engagements militants. Il parle volontiers d’horizontalité, d’autonomie collective, de co-responsabilité. Mais dès qu’un cadre est proposé, il se méfie, se rétracte ou conteste. Derrière ce discours cohérent, se cache une peur d’être à nouveau réduit au silence. Enfant, son père, militaire, imposait ses règles sans discussion ; chaque initiative de Julien était jugée comme une menace à l’ordre établi. Aujourd’hui, il évite toute configuration qui pourrait lui rappeler cette domination, même au prix de tensions constantes dans les groupes auxquels il participe.
Entre refus de l’ordre et besoin de reconnaissance
Ce rejet de la hiérarchie peut paradoxalement produire ce qu’il cherche à éviter : des rapports flous, des conflits de pouvoir larvés, et une difficulté à nommer les responsabilités. En niant la différence de places, on rend impossible une organisation claire du lien. Ce flou peut masquer des luttes pour le pouvoir d’autant plus violentes qu’elles ne sont pas assumées. Ceux qui refusent la hiérarchie ne cherchent pas toujours l’égalité réelle, mais la garantie qu’aucune autorité ne les fera revivre une ancienne soumission. Une confusion se crée alors entre autorité fonctionnelle et pouvoir maltraitant.
Rétablir la différenciation sans violence
La reconstruction passe souvent par la distinction entre autorité structurante et domination destructrice. Intégrer qu’une hiérarchie peut être juste, souple et protectrice demande de déconstruire les confusions affectives anciennes. Ce travail permet de réhabiliter la confiance dans l’asymétrie, et de réapprendre à occuper sa place sans menace pour l’autre ni soumission pour soi. Accepter qu’un cadre puisse contenir sans aliéner, c’est rouvrir la possibilité de liens professionnels, politiques ou intimes où la sécurité ne dépend plus du rejet de toute verticalité.