Psychologie

Certaines personnes semblent en quête perpétuelle d’un métier « à part », à la fois rare, intense, porteur de sens. Elles évoquent des projets artistiques, thérapeutiques, humanitaires ou spirituels avec ferveur, mais sans jamais poser d’actes concrets pour les réaliser. Cette idéation constante peut être séduisante mais aussi paralysante, car elle maintient le sujet dans une bulle imaginaire où la confrontation au réel est sans cesse différée. Rêver d’un métier différent devient alors une manière de ne jamais avoir à s’engager, ni à se heurter à la banalité ou à la frustration du quotidien professionnel.

L’idéal comme refuge contre la mise en acte

Lorsque le désir reste figé dans un horizon toujours repoussé, il perd peu à peu sa fonction motrice. L’imaginaire s’emballe, construit des scénarios où l’on serait enfin reconnu, aligné, épanoui. Mais ces projections peuvent aussi servir de refuge contre la peur d’échouer ou de se décevoir. Tant que le métier rêvé reste fantasmatique, il ne risque pas d’être abîmé par la réalité. Ce mécanisme de défense est d’autant plus puissant qu’il offre une forme de jouissance : celle de se penser « autre », « en marge », « en attente de mieux ». Ce qui est évité, en réalité, ce n’est pas le monde du travail, mais le processus même de confrontation avec ses limites, ses incertitudes, ses renoncements.

Exemple : Inès, toujours en projet mais jamais en poste

Inès, 35 ans, vit de petits boulots alimentaires en attendant de « trouver enfin sa voie ». Depuis dix ans, elle évoque tour à tour l’idée de devenir céramiste, thérapeute, professeure de yoga ou d’ouvrir une librairie engagée. Chacune de ces pistes l’enflamme pendant quelques mois, jusqu’à ce qu’elle trouve une raison d’y renoncer. Elle dit avoir besoin d’un métier “qui a du sens”, mais fuit chaque étape concrète qui l’en rapprocherait. Quand elle tente une formation, elle l’abandonne à mi-parcours ; quand une opportunité se présente, elle la juge trop éloignée de son idéal. Le rêve la tient debout, mais il la prive aussi d’un ancrage.

L’idéation permanente comme évitement de la séparation

Rester dans l’imaginaire d’un métier exceptionnel peut aussi signifier refuser de s’inscrire dans un ordre commun, où l’on doit accepter de ne pas être unique. L’idéalisation empêche la séparation d’avec les figures nourricières, notamment lorsqu’on craint de décevoir ou de perdre leur regard protecteur. Dans ces cas-là, le métier rêvé devient un écran : il entretient l’illusion d’une élection future, tout en empêchant l’autonomisation réelle. Le sujet se maintient dans une attente indéfinie, comme s’il redoutait que toute mise en œuvre signe la fin d’une dépendance affective.

Retrouver une voie vivante plutôt qu’idéale

Il ne s’agit pas de renoncer à ses rêves, mais de les faire passer de l’imaginaire au symbolique. Cela suppose de renoncer à l’idée d’un métier parfait, pour accueillir un chemin imparfait mais incarné. Mettre les mains dans le réel, s’autoriser à essayer, à échouer, à douter : c’est dans cette traversée que le désir peut se reformuler, s’affiner, s’enraciner. Ce n’est pas l’idéal qui doit disparaître, mais son emprise sur le mouvement. Ce qui libère, ce n’est pas le rêve lui-même, mais la possibilité d’en faire quelque chose.

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