Psychologie

Certaines personnes parlent souvent d’un autre métier, d’une autre vie. Elles se projettent dans un ailleurs plus libre, plus aligné, plus vivant. Mais ce rêve ne se concrétise jamais. Il revient, insiste, se transforme parfois, mais ne s’incarne pas. Ce décalage entre l’élan imaginé et l’action absente n’est pas un simple manque de courage ou de méthode : il révèle une tension plus intime, entre un désir qui cherche à émerger et une inhibition qui l’empêche de prendre forme. Le projet professionnel devient alors le théâtre d’un conflit intérieur, où le fantasme protège autant qu’il entrave.

La projection comme espace protégé du réel

Imaginer un autre métier, c’est déjà sortir, en pensée, du cadre existant. C’est créer une brèche dans le récit dominant de sa trajectoire. Mais cette projection, si elle reste isolée de tout passage à l’acte, peut devenir un refuge. On rêve d’écrire, de soigner, de changer de ville, mais sans jamais s’y engager. Le métier rêvé devient un lieu mental où l’on se sent vivant sans se confronter à la possibilité de l’échec. Il reste un idéal inaccessible, parce que s’en approcher impliquerait de risquer la déception, de renoncer à d’autres fidélités, ou de rencontrer des limites internes mal tolérées. La projection tient lieu de déplacement symbolique, elle évite une confrontation directe avec le désir réel, toujours plus trouble que le scénario idéal.

L’exemple de Sophie : parler sans jamais agir

Sophie, 36 ans, est juriste depuis plus de dix ans. Depuis longtemps, elle évoque un désir de reconversion vers le design d’espace. Elle lit, suit des comptes spécialisés, s’inscrit à une newsletter sur les formations. Mais elle ne franchit jamais aucune étape concrète. Elle dit manquer de temps, de légitimité, d’information. Mais en séance, ce qui affleure est autre chose : une peur diffuse d’avoir idéalisé ce “dehors”. Elle se sent vue, reconnue dans son métier actuel, et redoute de redevenir invisible en recommençant ailleurs. Ce n’est pas tant le changement qui l’effraie que l’abandon d’une identité construite à grand-peine. Le rêve lui permet de maintenir vivant un élan, sans se risquer à perdre ce qu’elle a lentement consolidé.

Fantasmer pour ne pas désirer trop fort

Le fantasme de reconversion peut parfois servir de limite protectrice. Il permet de garder en soi l’idée d’un “autre possible”, sans avoir à y renoncer ni à s’y confronter. Il évite l’engagement, mais aussi la perte. Car désirer réellement, c’est toujours s’exposer à l’absence, au refus, à l’insatisfaction. En maintenant le projet dans l’imaginaire, on se protège d’une chute symbolique. Mais cette protection se paie : l’immobilité renforce l’écart entre soi et soi, nourrit une insatisfaction silencieuse, installe une forme d’impuissance intériorisée. Le sujet ne sait plus s’il veut vraiment changer, ou seulement rêver d’une version plus vivable de lui-même.

Réconcilier l’imaginaire et l’acte

Sortir de cette paralysie ne suppose pas de tout bouleverser, mais de réintroduire du mouvement là où le rêve avait figé l’élan. Cela peut passer par un acte modeste, une tentative expérimentale, une parole posée dans le réel. Il ne s’agit pas de réaliser le fantasme, mais d’en accueillir ce qu’il dit de vivant, de désirant. Parfois, le projet rêvé n’a pas besoin d’être entièrement accompli pour ouvrir un autre chemin. Le travail psychique commence là : dans l’autorisation à vouloir autrement, et dans le passage du rêve protégé à une forme de mise en jeu, aussi imparfaite soit-elle.

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