Se sentir mis à l’écart sans raison : réalité ou projection ancienne ?

Il arrive que certaines personnes ressentent, de manière floue mais persistante, qu’elles ne font pas vraiment partie du groupe. Elles ne sont pas explicitement rejetées, ni ouvertement maltraitées, mais quelque chose dans les interactions les laisse sur le seuil. Une invitation manquée, un ton plus neutre, un regard qui glisse : autant de détails qui s’accumulent pour former une impression d’exclusion. Ce vécu, souvent difficile à formuler, peut être interprété comme une hypersensibilité ou une mauvaise lecture des codes sociaux. Mais il témoigne parfois d’un noyau plus ancien : une blessure d’invisibilité intériorisée, qui colore les liens présents.
La mémoire d’une place floue
Lorsqu’on a grandi dans un environnement où sa présence était tolérée mais peu reconnue, où l’on n’était ni rejeté ni pleinement accueilli, une forme de doute s’installe. La personne apprend à questionner sa légitimité dès qu’elle n’est pas expressément nommée, incluse, validée. Cette incertitude se réactive dans tout contexte où les places ne sont pas clairement attribuées, comme dans les groupes professionnels. Le silence d’un collègue, l’absence d’un sourire, la non-invitation à un déjeuner peuvent alors faire écho à une scène bien plus ancienne, où l’enfant sentait qu’il était “de trop” sans que cela soit dit.
Exemple : Lætitia, une place jamais claire
Lætitia, 36 ans, travaille dans une société de conseil. Compétente, discrète, elle se sent pourtant régulièrement à la marge. Elle n’est pas mise à l’écart formellement, mais les discussions de couloir semblent l’oublier, les déjeuners s’organisent sans elle. Elle en souffre, sans pouvoir l’exprimer. En thérapie, elle évoque une enfance dans une fratrie nombreuse, avec une mère accaparée et un père souvent absent. Elle dit avoir appris à “ne pas déranger”, à se rendre invisible pour ne pas alourdir. Dans son équipe, les interactions actuelles réactivent ce script silencieux : dès qu’elle n’est pas appelée, elle se pense exclue, sans qu’aucune hostilité ne le confirme.
Ce que l’environnement réveille
Dans ces situations, le contexte professionnel agit comme un amplificateur. Il devient le lieu de projection d’un sentiment ancien d’illégitimité, qui n’a jamais pu être mis en mots. Ce n’est pas tant ce que les autres font, mais ce que leur silence ou leur inattention ravive. Le sentiment d’exclusion fonctionne alors comme une scène intérieure rejouée : la personne se retrouve à nouveau dans un entre-deux insaisissable, ni dedans, ni dehors. Elle peut en arriver à s’auto-exclure, à renoncer aux interactions, ou à développer une hypervigilance qui renforce le malentendu.
Reconnaître le scénario ancien pour retrouver sa place
Il ne s’agit pas de nier les dynamiques d’exclusion réelles, mais de différencier ce qui appartient au présent de ce qui relève d’un récit intérieur plus ancien. En travaillant la blessure d’invisibilité, il devient possible de prendre acte de ce que l’on rejoue dans ces scènes ordinaires du quotidien professionnel. La personne peut commencer à affirmer sa présence, non par surcompensation, mais en renonçant à attendre une invitation constante pour se sentir légitime. Retrouver sa place, c’est parfois cesser de demander qu’on la désigne, et commencer à l’occuper pleinement.