S’énerver contre l’autre en jouant : une colère plus à décrypter

Le jeu est un espace supposé léger, voire joyeux. Mais il arrive que l’irritation prenne le dessus, que des remarques cinglantes fusent, que des silences se chargent de tension. Certaines joueuses se surprennent à s’agacer, voire à exploser, face à un coéquipier maladroit ou à un adversaire trop sûr de lui. Ce qui se joue alors n’est pas seulement une frustration passagère, mais l’expression déplacée d’une colère ancienne. Une émotion qui déborde dans le cadre ludique, là où elle semble pouvoir enfin s’exprimer sans conséquences trop graves.
Une colère disproportionnée à la situation
Un mauvais choix tactique, une erreur répétée, une défaite évitable… et soudain, le ton monte. Cette réaction paraît excessive. Mais c’est souvent parce que la scène rejoue quelque chose de plus profond : une blessure, une impuissance, une colère rentrée ailleurs. Le jeu agit comme catalyseur, activant un affect refoulé. L’autre devient le prétexte visible d’un conflit intérieur plus vaste. On croit parler du jeu, mais c’est soi-même qu’on attaque à travers l’autre.
Le partenaire de jeu comme figure transférentielle
Dans le jeu en équipe, les rôles se distribuent inconsciemment : leader, suiveur, protecteur, distrait, arrogant. Chaque joueur peut incarner une figure familière, parfois chargée d’affects plus anciens. S’énerver contre lui ou elle, c’est parfois rejouer une scène enfouie : ne pas avoir été entendu, avoir été rabaissée, abandonnée ou sur-responsabilisée. Le jeu devient un théâtre discret de projections, où le partenaire cristallise des enjeux qui le dépassent. La colère n’est plus contextuelle : elle est transférentielle.
L’exemple d’Élise, 34 ans
Élise joue souvent en duo avec une amie proche à un jeu coopératif. Quand cette dernière fait une erreur, Élise perd patience, hausse la voix, devient sèche. Elle dit qu’elle “ne se reconnaît pas”, que “ce n’est qu’un jeu”, mais que “ça l’énerve vraiment”. En y réfléchissant, Élise repère un schéma récurrent : elle a souvent été celle qui devait “tenir” les choses, sans droit à l’erreur, dans sa famille comme au travail. Voir l’autre faillir réactive une angoisse sourde : celle d’être laissée seule face à la charge. Le jeu ne déclenche pas sa colère, il la révèle.
Comprendre ce qui déborde
La colère dans le jeu n’est pas à condamner. Elle est un signal, un indice, une tentative de dire ce qui n’a jamais pu l’être ailleurs. Mais si elle reste sans lecture, elle abîme le lien et enferme dans la répétition. Comprendre ce qui s’active dans cette tension permet de l’accueillir autrement. Le jeu devient alors un révélateur précieux : non plus une scène de crise, mais un espace où le conflit peut enfin trouver ses mots, ses racines, et peut-être, un apaisement.