Psychologie

Certain·es salarié·es s’effacent dans les réunions, parlent peu en open space, ne revendiquent ni leurs mérites ni leurs limites. Ils ne dérangent pas, ne s’imposent pas, ne dévient pas. On les décrit comme « discrets », « posés », « professionnels », parfois « transparents ». Ce silence apparent est souvent valorisé comme une forme de maîtrise ou de modestie. Mais derrière cette posture contenue peut se cacher une stratégie inconsciente, mise en place très tôt dans l’histoire du sujet, pour se protéger d’un monde perçu comme intrusif, dangereux ou instable. Le silence, dans ce cas, n’est pas un choix libre, mais un héritage intérieur.

Un mode de survie devenu seconde nature

Chez certain·es salarié·es, la discrétion relève d’un mécanisme ancien de protection. Il ne s’agit pas d’un tempérament calme, mais d’un retrait défensif profondément inscrit. Ne pas parler, ne pas se montrer, c’est échapper au regard, à la critique, à la violence symbolique. Pour ces personnes, chaque prise de parole peut réactiver un sentiment d’insécurité, voire de menace. Être visible, c’est risquer le rejet ou l’humiliation. Le silence devient alors un refuge identitaire, un espace où l’on se croit à l’abri. Ce qui, en entreprise, est lu comme de la réserve professionnelle, peut en réalité être le fruit d’un ancien interdit de prendre place.

Un exemple : Mehdi, l’absent discret

Mehdi, 35 ans, travaille dans une grande structure publique. Il est apprécié pour sa fiabilité, mais peu sollicité pour des projets d’envergure. Il s’en plaint parfois, en privé, sans jamais oser le nommer en réunion. Depuis l’enfance, il a appris à ne pas attirer l’attention pour éviter les conflits entre ses parents, souvent violents. Se rendre invisible était, pour lui, la seule manière d’échapper à la peur. À l’âge adulte, cette stratégie s’est glissée dans ses postures professionnelles : rester neutre, ne jamais contredire, ne pas briller. Lors d’une séance d’accompagnement, il prend conscience que ce silence n’est plus seulement une protection, mais aussi une entrave. Il ne s’agit plus seulement de survivre, mais de vivre autrement dans le lien professionnel.

Une autonomie entravée par la loyauté ancienne

Ce type de silence n’est pas seulement un retrait, il est aussi une fidélité inconsciente. Une fidélité à un environnement familial où parler n’était pas autorisé, ou où toute affirmation de soi était perçue comme une trahison. Rester discret, c’est parfois rester loyal à un schéma ancien, où la sécurité dépendait de l’effacement. Cette posture n’est pas forcément perçue comme douloureuse : elle a longtemps protégé. Mais elle devient un frein lorsque l’environnement change et que la prise de place devient nécessaire pour évoluer, être reconnu·e, ou simplement être entendu·e. La discrétion cesse alors d’être une qualité, pour devenir un masque qu’on ne sait plus retirer.

Rétablir un rapport libre à la parole

La question n’est pas de forcer la prise de parole ou d’imposer l’exposition, mais de permettre au salarié de réinvestir la parole comme un choix possible. Il s’agit de défaire le lien automatique entre visibilité et danger, et d’explorer les conditions sécurisantes dans lesquelles une parole peut s’installer. Cela demande du temps, parfois un soutien thérapeutique, et surtout un regard bienveillant sur ces silences chargés d’histoire. Derrière l’absence de mots, il y a souvent un monde intérieur riche, jamais autorisé à émerger. Parfois, parler, c’est oser exister à nouveau.

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