Psychologie

Dans les récits d’enfance, ce qui n’est pas dit compte souvent autant, sinon plus, que ce qui est raconté. Les ellipses, les blancs, les silences du texte ne traduisent pas seulement des manques de mémoire : ils révèlent ce que la mémoire, précisément, ne peut ou ne veut pas intégrer. Loin de constituer de simples lacunes factuelles, ces vides sont les marques visibles d’un travail psychique en tension. Lire autrement ces silences, c’est percevoir que l’écriture de l’enfance est traversée par l’inconscient, et que ce qui échappe au récit constitue souvent le cœur même de ce qu’il cherche à approcher.

Les blancs comme signes d’un refoulement

Les oublis apparents du récit d’enfance signalent fréquemment l’action du refoulement. Ce qui a été vécu de manière traumatique, honteuse ou conflictuelle se trouve maintenu hors champ. L’écriture, en contournant ces zones opaques, en trahit la puissance : ce qui ne peut être formulé se dérobe sous la forme du silence. Pour le lecteur attentif, ces blancs ne sont pas des absences anodines mais des indices. Ils désignent les points de butée de la mémoire, là où le passé résiste à l’élaboration. Lire ces silences, c’est alors interroger ce que le récit tente d’éviter ou de protéger.

Les ellipses comme stratégie narrative et défensive

Les ellipses délibérées dans un récit d’enfance jouent un double rôle. Narrativement, elles instaurent un rythme, une tension ; psychiquement, elles constituent souvent une défense. En omettant certains épisodes, en accélérant brusquement le cours du souvenir, l’auteur signale qu’une zone demeure impraticable. Ces coupes dans le tissu du récit ne sont jamais neutres : elles disent ce qui, pour le sujet, reste inassimilable. L’écriture devient alors un espace de compromis : elle avance tout en ménageant les zones d’ombre que l’inconscient maintient actives.

Les silences comme espace d’adresse au lecteur

Ces silences et ces blancs ne sont pas seulement des traces d’un refoulement ; ils fonctionnent aussi comme une adresse implicite au lecteur. En laissant des zones en creux, l’auteur sollicite l’imaginaire du lecteur, l’invite à entendre ce que le texte tait. L’expérience de lecture devient alors un espace partagé de travail psychique. Les récits d’enfance les plus marquants sont souvent ceux qui, par leurs silences, éveillent en nous nos propres zones d’oubli ou de fragilité. Ce que le texte ne dit pas, il nous pousse à l’éprouver.

Exemple : W ou le souvenir d’enfance de Georges Perec, une écriture trouée

Dans W ou le souvenir d’enfance, Georges Perec construit un récit profondément travaillé par les blancs de la mémoire. Alternant fiction et fragments autobiographiques, il expose les impossibilités de dire, les souvenirs flous, les trous laissés par la disparition de ses parents déportés. Le texte est traversé de silences, de zones laissées en suspens, de phrases avouant l’imprécision ou l’absence de souvenir. Perec fait ainsi de l’oubli même un moteur du récit : ce que le texte ne peut formuler devient le cœur de son projet. W ou le souvenir d’enfance illustre avec force comment l’écriture peut rendre sensibles les silences les plus profonds de la mémoire traumatique.

Quand le non-dit éclaire le récit

Dans les récits d’enfance, ce qui n’est pas raconté est souvent ce qui pèse le plus. Les silences, les ellipses, les oublis sont les marques visibles du travail inconscient qui traverse le texte. Lire autrement ces vides, c’est comprendre qu’ils sont moins des absences que des présences insistantes. Et que le récit, en tentant d’approcher ces zones muettes, nous met aussi face à nos propres silences.

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