Pourquoi certaines personnes changent d’études chaque année ?

Il existe des parcours linéaires, cohérents, où chaque choix semble découler du précédent. Et il y a ceux, plus discontinus, marqués par des bifurcations fréquentes. Certains enchaînent les cursus, chaque année recommençant quelque chose, sans jamais vraiment s’installer. Ce mouvement, souvent interprété comme de l’instabilité ou de l’indécision, révèle parfois un mécanisme plus profond : la fuite d’un engagement vécu comme menaçant pour l’identité. L’orientation ne fonctionne plus comme un choix, mais comme une stratégie d’évitement inconscient.
L’engagement comme prise de risque identitaire
S’inscrire dans une formation, c’est potentiellement s’y inscrire symboliquement : se projeter, se situer, renoncer à d’autres possibles. Pour certaines personnes, cette projection devient insupportable. Choisir revient à se limiter, à perdre une part de liberté imaginaire. Cela oblige à renoncer à l’indifférenciation, à trancher, à s’approprier un avenir. Si l’identité n’est pas assez construite, ou si elle s’est développée dans des contextes de loyauté complexe ou d’idéaux parentaux écrasants, le choix devient menaçant. Mieux vaut alors ne pas s’attacher. Commencer, c’est rester du côté du possible. Finir, c’est affirmer une position, donc s’exposer.
L’exemple de Manon : recommencer sans fin
Manon, 24 ans, a déjà commencé quatre cursus différents : psychologie, marketing, graphisme, puis sciences de l’éducation. À chaque rentrée, elle est motivée, investie. Mais au bout de quelques mois, elle sent “que ce n’est pas ça”. Elle évoque une “envie de plus”, un sentiment d’étouffement, une incapacité à se projeter. En thérapie, elle raconte une adolescence marquée par une mère rigide, exigeante, pour qui chaque choix devait être parfait. Se tromper n’était pas une option. Aujourd’hui, elle ne parvient pas à tenir dans une formation, non par désintérêt, mais parce qu’y rester reviendrait à prendre le risque de se tromper, et donc de revivre une scène d’humiliation intériorisée. Le mouvement perpétuel devient une protection : tant qu’elle recommence, elle garde intacte la possibilité d’un choix sans faute.
La discontinuité comme défense contre la séparation
Derrière ces changements répétés se cache aussi une peur de la séparation. Choisir une voie, c’est symboliquement quitter les autres, les figures parentales, les idéaux hérités. Certaines personnes, très investies dans le lien familial ou marquées par une dynamique de fusion, vivent le choix comme une rupture, un abandon. En recommençant chaque année, elles maintiennent une forme de dépendance tolérable, un entre-deux qui leur permet de rester dans une forme d’indétermination relationnelle. Ce qui semble être une autonomie (changer, décider, recommencer) est en réalité une manière de ne jamais sortir vraiment.
Réintroduire du sens plutôt que chercher une solution
Le travail d’accompagnement ne consiste pas à orienter à tout prix, mais à entendre ce que protège cette instabilité. Plutôt que de chercher “la bonne voie”, il s’agit souvent de mettre en mots ce que chaque changement évite. Ce n’est pas un déficit de volonté, mais un excès d’enjeux psychiques autour du choix. En autorisant la parole sur ce qui bloque, ce qui fait peur, ce qui contraint, on permet peu à peu de réhabiliter l’idée même de choix comme espace de construction, et non comme lieu de péril. C’est à cette condition que l’orientation peut redevenir un acte, plutôt qu’un symptôme.